en grande dame ou en passant par les portes dérobées des faveurs suspectes. Cette fois, avec Mme Roland, elle reste elle-même; elle prend un corps bourgeois, une âme bourgeoise, ce qui ne veut dire nullement une âme dépourvue d’une distinction naturelle, mais douée d’une distinction qui lui est propre, avec une grâce mêlée de force et de je ne sais quelle gaucherie ou quelle fierté un peu rude dans la façon de prendre le sceptre. Mme Roland est cette bourgeoise supérieure de grâce et de force, faite pour marquer l’avènement d’une classe, pour le sceller au besoin de son sang, et c’est là, si je ne me trompe, son caractère historique dans cette révolution où elle entre d’un cœur passionné et d’un esprit fait pour tout comprendre, pour fasciner et entraîner ceux qui l’entourent en les éclipsant le plus souvent.
La révolution n’a point formé Mme Roland, elle l’a trouvée dans cette pleine maturité de la vie, et elle lui a offert un théâtre où cette femme énergique s’élançait dès le premier jour avec ce feu que Mallet du Pan prenait pour la turbulence d’une tête ardente et ambitieuse qui eût « mérité un cloître ou une principauté. » Elle avait l’instinct de la grandeur des événemens qui commençaient lorsqu’elle écrivait à Bancal des Issarts, qui venait de faire l’ascension du Puy-de-Dôme : « L’élévation de votre superbe montagne est l’image de celle où se portent enfin les grandes âmes au milieu des agitations politiques et du bouleversement des passions. » Elle était saisie de la fièvre universelle lorsque de Paris, où elle était en 1791, elle écrivait encore : « On vit ici dix ans en vingt-quatre heures. Les événemens et les affections s’entremêlent et se succèdent avec une singulière rapidité; jamais d’aussi grands intérêts n’avaient occupé les esprits; on s’élève à leur hauteur, l’opinion s’éclaire et se forme au milieu des orages, et prépare enfin le règne de la justice.» Il faut se représenter Mme Roland arrivant à cette époque à Paris, dans ce Paris agité d’un souffle de révolution, avec cette ardeur d’intérêt « difficile à imaginer, qu’on ne peut guère apprécier qu’avec la connaissance de sa trempe et de son activité. » Elle court à l’assemblée, elle voit «le puissant Mirabeau, l’étonnant Cazalès, l’audacieux Maury, les astucieux Lameth, le froid Barnave, » et elle remarque avec dépit, du côté des noirs comme elle dit, cette supériorité qui tient à l’habitude de la représentation, à l’habileté du langage, aux manières distinguées. Elle embrasse du regard toute cette carrière où les événemens se précipitent, où les exigences s’accroissent, où à côté des tribuns du jour on voit poindre déjà les tribuns du lendemain.
Je ne sais en effet si jamais une scène plus vaste s’est ouverte devant une génération, — que dis-je? — devant trois générations