Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/895

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parisienne tant qu’elle avait servi leurs vues ou leurs passions, et ils s’exposaient à cette réponse brutalement sensée faite par un homme du peuple à Mme Roland, qui lui parlait du vœu des départemens, des assemblées primaires : « Est-ce qu’il en a fallu au 10 août? » Lorsqu’enfin ils cherchaient à sauver Louis XVI, ils ne voyaient pas qu’ils avaient commencé par le tuer moralement, que le 21 janvier 1793 avait pour prologue le 20 juin et le 10 août 1792. Ils se débattaient à chaque pas contre les conséquences de tout ce qu’ils avaient affirmé par la parole et par l’action ; mais ce fut leur honneur de s’arrêter dans un mouvement brusque de généreuse indignation, de se rattacher d’un cœur fier dans le péril à leur idéal d’une république honnête et légale, de se redresser avec désespoir contre la politique sanguinaire des massacreurs, de pousser enfin le cri de l’humanité broyée et humiliée le 2 septembre, et c’est là justement qu’entre girondins et montagnards l’abîme se creuse; c’est là, devant le sang de l’Abbaye et des Carmes, que commence cette lutte dramatique et désespérée de tous les jours, de toutes les heures, dont le 31 mai est le triste et fatal dénoûment.

Au milieu de ces scènes, pendant les deux ministères de son mari, Mme Roland est bien réellement l’âme de ce groupe illustre de la gironde; pleine de confiance et d’élan jusqu’au 10 août, suffoquée par le sang au 2 septembre, elle a tour à tour les illusions et les indignations de son parti, avec une volonté plus ferme toutefois et un instinct résolu qui s’impatiente des lenteurs ou des indécisions de ses amis. La figure de Roland, quelques efforts qu’on fasse pour la relever, pour la dégager dans son lustre de patriotisme vertueux, reste certainement effacée dans ce dangereux voisinage de la plus brillante des femmes. Le bonhomme se débat honnêtement dans la désorganisation universelle, et surtout il tient ferme au péril. Son malheur est de n’avoir pas du génie là où il en faudrait, et de trop faire de sa vertu un moyen de gouvernement ou la décoration prétentieusement banale de sa médiocrité.

Ce qui est certain, c’est que dans cette crise croissante, en affectant toujours de décliner un rôle, en se défendant d’être une femme politique, c’est Mme Roland qui a l’ascendant de la parole et du conseil, le prestige de la supériorité de l’esprit et de l’inspiration. C’est elle qui écrit les proclamations, les circulaires, les instructions, et elle se réjouit de l’effet qu’elles produisent, sans s’apercevoir qu’elle met à nu l’inégalité d’une situation qui n’est pas exempte d’un certain ridicule pour son mari, quand elle dit : « Roland, sans moi, n’eût pas été moins bon administrateur; son activité, son savoir, sont bien à lui comme sa probité. Avec moi, il a produit plus de sensation, parce que je mettais dans ses écrits ce