Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/894

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quitté une première fois le ministère à la veille de la journée du 20 juin par la lettre fameuse qui était l’ultimatum de la révolution à la royauté, Roland, on le sait, y rentrait après le 10 août pour en sortir aux premiers jours de 1793, à la veille de la proscription et de la mort, et jamais assurément quelques mois de pouvoir ne furent plus tragiquement remplis.

Ce n’est plus en effet la vie publique avec ses émotions et ses agitations habituelles, c’est la lutte fiévreuse, haletante, mortelle, et Mme Roland, passant ainsi tout à coup dans cette lutte agrandie et enflammée, se montre au ministère de l’intérieur telle qu’elle était dans le petit comité, telle qu’elle est partout, modeste et fière, simple, quoique avec quelque chose qui n’est pas «l’élégance aisée de la Parisienne. » Lémontey la peint à ce moment dans un intervalle de calme, au ministère de l’intérieur. « Elle n’avait rien perdu, dit-il, de son air de fraîcheur, d’adolescence et de simplicité; son mari ressemblait à un quaker dont elle eût été la fille, et son enfant voltigeait autour d’elle avec des cheveux flottant jusqu’à la ceinture. On croyait voir des habitans de la Pensylvanie transplantés dans le salon de M. de Calonne... » Mme Roland donnait assez souvent des dîners, elle recevait les ministres, des députés; elle assistait aux conférences où on délibérait sur ce qu’il y avait à faire à l’assemblée en face des hostilités mal déguisées de la cour, et c’est à ce moment de crise décisive qu’elle apparaît réellement comme la vaillante compagne, comme le lien et l’inspiration de la gironde, de cette gironde lancée contre la royauté jusqu’au 10 août, puis aussitôt dépassée, et réduite à se défendre elle-même contre le jacobinisme triomphant à travers les journées lugubres du 2 septembre, du 21 janvier 1793, qui conduisent au 31 mai, où elle succombe à son tour.

Parti brillant assurément, sincère et honnête, mais plein d’illusions, d’inexpérience et de légèreté ! C’étaient des hommes d’une éloquence pathétique comme Vergniaud, d’un talent réel de publiciste comme Brissot, d’un caractère honnête comme Roland, d’une âme fière et intrépide comme Buzot, d’une imagination vive et en- traînante comme Barbaroux, d’un esprit hardi de journaliste comme Louvet. Ce n’étaient point à coup sûr des hommes d’état comme on les en accusait plaisamment : c’étaient des cœurs généreux et inconséquens. Lorsqu’ils sentaient leur impuissance au milieu des sinistres scènes de septembre, ils ne voyaient pas qu’ils avaient brisé de leurs propres mains tous les moyens de gouvernement. Lorsqu’ils en venaient à se révolter contre le despotisme de Paris, personnifié dans la commune, dans les clubs et les tribunes, ils ne se rappelaient pas qu’ils avaient préconisé cette omnipotence