Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/909

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voles, ou, faiblement fondés en fait, ils sont nuls de droit et ne peuvent être invoqués, à moins que les cabinets ne soient décidés à soutenir que la manière de gouverner d’un monarque agissant dans le cercle de son autonomie est un cas de guerre, et l’expose légitimement à être dépouillé de ses états, non pas même par ses peuples, mais par ses voisins. On reculerait devant cette énormité, si l’on n’avait pour soi cette parole sympathique, la nationalité. Nous ne sommes pas de ceux qui parlent légèrement de ce principe de fraîche date, parvenu si vite à si haute fortune. Malgré sa nouveauté, et quoiqu’il n’ait guère figuré, depuis des siècles, dans les fastes du droit public, quoique même les historiens aient souvent oublié d’en tenir compte dans leurs réflexions sur la formation des divers états européens, la communauté de race et de langue est un fait qui a toujours tenu quelque place, joué quelque rôle latent ou public dans les grands événemens du monde, et nous reconnaissons que ce fait, élevé par les savans contemporains à la dignité d’un principe, a passé de la littérature dans l’opinion, et ne peut plus être négligé par la politique. C’est peut-être une des innombrables conséquences du partage de la Pologne, et une des principales. Cependant il ne faut rien exagérer : l’ethnographie ne peut être devenue la loi de la politique ; la géographie est aussi quelque chose. Les intérêts, les mœurs, les habitudes, les souvenirs, ne contribuent pas moins à constituer les nationalités. Elles sont avant tout des faits historiques. La nationalité polonaise est célèbre et persistante, parce que l’existence plusieurs fois séculaire d’un peuple et d’un gouvernement l’a consacrée, et qu’après tout à l’heure cent ans l’attentat qui l’a mortellement atteinte arrache encore au monde des accens de douleur et d’indignation. On a pu revendiquer la nationalité italienne, parce que vingt siècles ont respecté le nom de l’Italie, et qu’une seule frontière, difficile à franchir, isole entre deux mers une vaste société ralliée par l’unité de la religion, de la langue, de la littérature, de la loi civile et des arts. Les souvenirs des divers états italiens sont ceux de l’Italie entière. Cependant si la question de race était toute la question de nationalité, l’unité italienne deviendrait moins soutenable, comme l’antagonisme de la Russie et de la Pologne deviendrait moins explicable. En revanche, on aurait bien des choses à dire aux maîtres de l’Irlande et du pays de Galles, comme à ceux de la Bretagne, de l’Alsace et du pays basque, et ce n’est pas chose peu étrange que de voir la cause des races embrassée par les détenteurs germains du duché de Posen, de la Hongrie, de la Vénétie. Qui sait s’ils n’auront pas quelque jour à se repentir amèrement de l’emploi d’une arme qui peut si facilement, si justement, être retournée contre eux ?