Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/910

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La nationalité ou plutôt l’impatience des populations allemandes de voir se réaliser les rêves du germanisme ne présente donc pas ici de motifs assez sérieux pour balancer les droits acquis, l’autorité d’un gouvernement légitime, l’indépendance d’un pouvoir souverain, l’avantage des progrès constitutionnels, la foi des traités, l’importance pour l’Europe, surtout pour l’Angleterre, la France, la Russie et la Suède, du maintien d’un royaume ami, respecté, préposé depuis longtemps à la garde de l’entrée de la Baltique.

Tout a été dit sur ce dernier point, et ce n’est pas à l’Angleterre qu’il importerait de remontrer l’intérêt que toutes les marines ont à ne rien changer légèrement aux règles et aux forces qui dominent sur le littoral de ces détroits célèbres. La France, qui se croit plus indifférente à ces questions, doit cependant les considérer des mêmes yeux, et elle a plus que l’Angleterre à se préoccuper de toute extension du corps germanique. Si jamais tous les contingens fédéraux devaient être appelés aux armes, ce ne pourrait être que contre elle ou contre la Russie, et il n’y a pas d’apparence que ce soit de longtemps contre la Russie. Il y a enfin pour nous un point plus important. Ce n’est pas flatter notre patriotisme ou exagérer nos forces que de dire qu’aucune armée n’est au-dessus de la nôtre, et que notre marine est la seconde de l’Europe. C’est assez pour constituer notre supériorité sur chaque puissance continentale prise séparément. Il serait trop long de développer ici le rôle auxiliaire, mais considérable, que la marine est désormais appelée à jouer dans presque toute guerre territoriale; mais il est certain qu’à force militaire égale celui de deux états belligérans qui dispose de la flotte la plus redoutable a toutes les chances de son côté. Nous ne saurions donc voir avec indifférence les efforts que font notoirement depuis quinze années les états germaniques pour devenir des puissances maritimes. Or on ne peut méconnaître que le désir de s’emparer du port de Kiel a été pour beaucoup dans les ambitions récentes de l’Allemagne. Kiel est une place maritime d’une véritable importance, et dont la rade a pu recevoir notre escadre du nord pendant la guerre de Grimée. Sans doute un port de guerre sur une mer souvent fermée comme la Baltique n’est pas une position de premier ordre; mais que celui-ci appartienne à la Prusse ou à quelque autre puissance confédérée, ce n’en est pas moins le commencement d’un nouvel état de choses dont la France est essentiellement intéressée à prévenir le développement.

Plus d’une raison pouvait donc nous faire prendre à cœur l’affaire du Danemark; entre l’abstention et l’intervention, la balance pouvait être au moins égale. Nous ne disons pas que l’intervention fût commandée; cependant elle aurait eu pour elle le droit et l’intérêt. On n’a pu y renoncer sans regrets. C’est un sacrifice qu’en Angle-