Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/921

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qu’à la sincérité de l’esprit public, et les apparences se prêtaient à leurs soupçons. La liberté politique était alors vivante, tout au moins celle de la presse. Les partis, pleins d’espoir et d’entrain, se livraient ouvertement à une activité bruyante; ils menaçaient à haute voix. On pouvait donc leur imputer l’influence dont ils tiraient vanité, imaginer qu’ils avaient tout fait, puisqu’ils se disaient en mesure de tout faire. Ainsi s’expliquent tant de déclamations contre leur funeste industrie. Ainsi la presse, cette éternelle accusée, à qui l’on s’en prend de tout, même des fautes qu’on a commises, était traitée de conspiratrice publique qui subornait l’opinion même, créait le mécontentement en le simulant, et fabriquait une autre France que la véritable.

Rien de pareil aujourd’hui. La France se meut dans le réseau à mailles serrées d’une administration sans responsabilité; le droit de réunion est mis au néant; contenue par la crainte de l’arbitraire, la presse ne prête aux partis qu’une voix intimidée. L’opposition, il y a peu de temps, osait à peine s’avouer. Il y a un peu plus d’un an, la vie politique semblait comme engourdie; on marchait vers les élections sans paraître y penser. On savait bien qu’une heure viendrait où l’opinion libérale se relèverait; on pouvait pronostiquer que le réveil serait subit et surprendrait ceux-là mêmes qui le désiraient le plus. On n’en aurait osé dire davantage. La durée entière d’une législature semblait nous séparer encore du moment où se ranimerait la vie électorale, où la vérité des opinions se substituerait à la fiction de l’unanimité. Le fait est venu plus vite qu’il n’était attendu. Il est né du sein de la nation, et non des partis. Pris au dépourvu, désarmés, distraits, ce sont les partis qui se sont trouvés le moins prêts; ils ont manqué au public plus que le public ne leur a manqué. L’opinion cherchait les candidatures plus que les candidatures ne cherchaient l’opinion. Ce grand changement étonna la France et l’Europe. L’une se retrouvait enfin, et l’autre la reconnaissait cette France, vieil objet de tant d’espérances et de craintes, cette France qui ne peut remuer sans inquiéter le monde.

Ce sont là des faits si clairs et si certains qu’on n’y insisterait pas, s’il n’était des esprits intéressés à les nier, décidés à les ignorer. Le pouvoir est toujours assailli d’aveugles volontaires, d’optimistes entêtés qui ne voient pas ce qui les contrarie et le flattent de leurs illusions. Aussi est-ce presque toujours faire injure à un gouvernement que de le juger par ses défenseurs. Leur complaisance n’est pas la preuve de son infatuation. Les amis d’un gouvernement se classent toujours en trois catégories, les violens, les timides, les sages. Je n’ai jamais fait aucun cas des premiers; mais il faut souvent ménager les seconds, et aider les derniers à devenir les maîtres. Voyons comment ces trois opinions apprécient l’état des choses.