Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/923

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rencontre cette terreur rétrospective; les plaintes et les prédictions qu’elle inspire se font entendre de plus d’un côté. Elle n’est pas rare dans les rangs les plus élevés de la société et même des partis. Ceux qui, par leur importance, leurs loisirs, leur fortune, devraient, étant les plus responsables, se montrer les plus actifs et prendre le plus résolument la charge de veiller aux destinées de la société, sont trop souvent les plus découragés, les plus las de la vie publique, les plus incapables d’y rentrer. C’est parmi eux, contens ou mécontens, amis empressés ou juges sévères du gouvernement, que s’est le plus manifestée cette tendance déplorable à désespérer du salut public, pour peu qu’il repose dans leurs mains.

Il serait bien temps cependant de comprendre qu’il n’y a ni bon sens ni prudence à se fâcher contre l’inévitable, et que pour conjurer un péril il faut faire autre chose que de le craindre. Enfin, puisque les gens s’alarment, il y a quelque chose de changé dans la situation, et, puisqu’ils s’en aperçoivent, ne voient-ils pas que ce changement décisif, c’est qu’une défection lente encore, mais qui ne peut que s’accélérer, a commencé dans le sein du parti conservateur, et que, remontant de degré en degré toute l’échelle sociale, elle tend à changer peu à peu les satisfaits en dissidens, puis en opposans, et à réduire tôt ou tard les premiers à l’état de minorité S’ils attendent ce moment pour aviser, ils arriveront trop tard, et ils pourront revoir ce qu’ils appréhendent, faute d’avoir suivi le mouvement pour le bien diriger. Le souvenir de l’année 48 les obsède, ils s’indignent au moindre incident qui le réveille; mais ne savent-ils pas que nous vivons sous la loi du suffrage universel, et n’ont-ils pas eux-mêmes applaudi à la fondation d’un gouvernement qui se fait gloire de l’avoir pour base? N’ont-ils pas eux-mêmes profité de l’action collective de ce puissant mécanisme populaire, et ont-ils pu penser un moment que l’établissement du suffrage universel dût être l’abdication définitive de la démocratie? Et la démocratie peut-elle se mouvoir et prévaloir sans qu’il se forme un ou plusieurs partis démocratiques? Tout ami des institutions actuelles, quiconque les a seulement acceptées, a accepté avec elles la certitude d’un ébranlement légal et naturel de la masse sociale, et il y aurait puérilité à s’épouvanter de ce qu’on a voulu, de ce qu’on a préparé. Comment peut-on avoir approché seulement du gouvernement impérial sans entendre de toutes parts, et même du haut du trône, prédire qu’il faudrait un jour compter avec la démocratie? Or la démocratie ne sait que deux mots : liberté, égalité. Préparez-vous donc à les entendre répéter, et au lieu de vous boucher les oreilles, pensez plutôt aux moyens de faire que la liberté ne soit pas l’anarchie et l’égalité le nivellement.

Ceux qui ne comprennent point cela ne sauraient être les con-