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seillers que nous souhaiterions au pouvoir. Heureusement il peut trouver autour de lui de meilleurs appréciateurs de sa situation et de ses intérêts. Au sein de l’ancienne majorité, il se détache un nombre respectable de députés qui pensent que la stabilité même du gouvernement réclame une politique différente de celle du passé, que l’appui donné au gouvernement doit être plus indépendant et plus discuté, et que l’unique moyen d’arrêter les progrès de l’opposition et de ramener les esprits aux institutions actuelles est de les montrer conciliables avec le développement des libertés publiques, et surtout avec un contrôle plus direct et plus efficace de l’action de l’administration. Ces hommes consciencieux ont pu, en d’autres temps, faire aux intérêts de l’ordre, à la force du pouvoir, des concessions que nous ne leur aurions certes point conseillées; mais ils marchent avec le temps, discernent les besoins nouveaux, et forment le noyau d’un parti conservateur indépendant, au milieu duquel tôt ou tard un pouvoir bien inspiré devra se placer.

Rien ne manque donc à l’état des esprits pour caractériser un moment de transition où des élémens divers fermentent à la fois, où des forces et des tendances différentes, opposées même, se prononcent en même temps, et par une sourde lutte présagent un changement prochain. Plans de colère et de violence, entêtemens désespérés, terreurs profondes, doutes judicieux, désirs d’amendement, besoins d’indépendance, rapprochemens politiques, puis hors de là une vaste opposition très variée dans ses origines et dont le front très étendu s’étend chaque jour davantage, réunion de partis qui n’ont point assez de cohésion pour prétendre au pouvoir, mais qui ont en commun assez de vœux et de griefs pour exercer une influence et mettre le pouvoir en demeure de la désarmer ou de l’affaiblir en lui enlevant ses justes sujets de plainte : voilà les traits principaux d’une situation nouvelle, telle qu’elle doit apparaître à des hommes de gouvernement. C’est ainsi qu’elle ressort des discours mémorables de l’homme d’état qui sera l’honneur de notre époque. Du sein d’une opposition plus sévère que malveillante, c’est en effet pour les hommes de gouvernement, pour les amis éclairés du pouvoir, pour les membres les plus modérés et les plus consciencieux de l’ancienne majorité, que M. Thiers a constamment parlé. Sans affaiblir le fond de sa pensée, sans rien abandonner de la dignité de sa position, il s’est appliqué à faire entendre un langage que pût écouter sans offense tout pouvoir qui se gouverne par la sagesse plus que par la vanité. Il a rempli avec autant d’art que de franchise ce devoir de tout adversaire loyal : n’exiger du gouvernement dans l’opposition que ce qu’on lui conseillerait dans le pouvoir.

Nous écrivons sous l’empire des lois, nous connaissons les insti-