Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/956

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a-t-on affaibli l’évidence, directement aperçue par le sens intime? A-t-on prouvé par des argumens jusqu’à ce jour inconnus que la matière, plus ou moins subtile, plus ou moins coercible, mais enfin toujours divisible, pût accomplir des actes dont l’absolue simplicité ne saurait être même contestée? Ni l’un ni l’autre. On est seulement retombé dans cette ancienne erreur qui consiste à chercher au dehors ce qui est au dedans. Ainsi les uns ont abouti à dire ou à sous-entendre qu’il n’y a pas d’âme, et les autres à soutenir qu’on ne peut pas savoir s’il y en a une. D’autres enfin, sans sortir du for même de l’âme, ont appliqué au problème de son essence non l’observation immédiate, qui seule donne le vrai résultat, mais un procédé logique de définition qui ne pouvait rien produire. Et de là cette conclusion de M. Edmond Scherer : « l’homme n’est ni un corps, ni un esprit, ni la réunion d’un corps et d’un esprit. On ne peut le définir, car on définit par le genre et par la différence, — ni l’expliquer, car on explique en ramenant le fait particulier à un fait plus général, et l’homme, étant le terme le plus élevé de la série la plus haute, ne peut être ramené à un groupe supérieur. » — Répondons à M. Scherer; ce sera répondre en même temps à tous les adversaires, déclarés ou non, de la spiritualité de l’âme.

Et d’abord, quelle que soit la série à laquelle appartient un être, s’il peut être connu, il peut par là même être défini. Un être fût-il seul de son genre, dès qu’on le connaîtra, on connaîtra son genre, et on sera ainsi en mesure de le définir par son caractère générique. La question se ramène donc à savoir si l’homme est au nombre des êtres qu’il nous est permis de connaître. M. Scherer en convient, puisqu’il avoue que la science a le pouvoir de décrire l’homme; il en convient plus explicitement encore lorsqu’il écrit que l’âme, c’est précisément la conscience, et que « qui dit conscience dit une conscience qui a conscience d’elle-même. » A cela près qu’une faculté n’est pas un sujet et qu’il n’y a qu’un sujet conscient qui se sente et se connaisse, M. Scherer parle comme les spiritualistes; mais, puisque l’âme a conscience d’elle-même, en d’autres termes, puisqu’elle se connaît, elle ne peut se connaître que telle qu’elle est. Or premièrement, quand elle s’aperçoit elle-même, non-seulement elle s’aperçoit, mais elle sait qu’elle est un être, un sujet, quelqu’un qui pense, ou, comme dit Descartes, une chose qui pense. Personne n’a encore prouvé la fausseté de l’équation psychologique posée par Descartes : « je pense, donc je suis, » laquelle signifie : je pense équivaut à je suis pensant. L’âme, qui a conscience d’elle-même, a donc conscience d’un sujet. De plus ce sujet possède la faculté de se connaître. C’est par conséquent à lui de nous apprendre ce qu’il est, et si ses facultés sont ou non des propriétés de la