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place avec un tapis vert tout bordé d’arbustes, et derrière ce square s’élève un édifice qui semble s’isoler à dessein du bruit et de la multitude : c’est la maison de la Trinité (Trinity House). Le siège de cette importante société maritime était autrefois dans Water-Lane, d’où elle fut en quelque sorte chassée par deux incendies. Pouvait-elle d’ailleurs mieux choisir que le voisinage de la Tamise, des docks et des mâts de vaisseau qui la couronnent à distance, comme les parcs ou les forêts de grands arbres entourent de loin les manoirs de l’aristocratie anglaise ? Les principaux traits de l’édifice, construit en 1793 par Wiatt, consistent en un soubassement massif surmonté d’un seul étage, orné de colonnes d’ordre dorique et de pilastres, le tout bâti en pierre de Portland. Sur la façade, des génies qu’à leur face ronde et joufflue on prendrait volontiers pour des amours tiennent à la main des ancres, des compas, des cartes marines : ces emblèmes indiquent assez bien le caractère de l’institution. L’intérieur est occupé au rez-de-chaussée par les bureaux ; l’étage supérieur contient de belles salles dans lesquelles le public n’est point reçu, mais qu’on me permit de visiter. Un noble vestibule conduit à un double escalier de pierre, dont l’une et l’autre branche, après avoir suivi des directions opposées, se réunissent à un palier central, rehaussé d’ornemens et de sculptures. À droite, dans un demi-cercle décrit par la muraille, s’encadre un grand tableau à l’huile du neveu de Thomas Gainsborough représentant d’anciens « frères aînés » (Elder Brethren)[1], groupés avec leur uniforme dans une assemblée de famille. Le secrétaire, qui a passé cinquante ans dans la maison et qui a vu de près la plupart de ces figures, déclare qu’elles revivent sous la toile : sans les avoir connues, on parierait pour la ressemblance. À gauche sont inscrits sous de grands panneaux de verre les noms des bienfaiteurs de l’établissement et les sommes d’argent qu’ils ont léguées (benefactions). Des portes d’acajou massif introduisent le visiteur dans la salle du conseil (board room), dont le plafond, peint en 1796 par un artiste français, Rigaud, et tout chargé d’allégories, nous montre la prospérité de l’Angleterre naissant de la navigation et du commerce. Le Neptune britannique s’avance triomphant, entouré par les chevaux de mer et servi par les tritons. D’une main il porte un trident, de l’autre le bouclier du royaume-uni. Des canons et d’autres instrumens de guerre protègent sa marche, tandis que des génies agitent l’étendard de la Grande-Bretagne. Passe encore pour l’étendard ; mais les canons ! n’est-ce point abuser de l’anachronisme même en peinture ? D’un autre côté, Britannia, assise sur un rocher, reçoit dans son sein les

  1. C’est le nom qu’on donne aux associés d’un rang supérieur.