Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/972

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terrain et travailler pour son propre compte. Dans la Nouvelle-Galles du Sud, on n’encourage plus que l’immigration des femmes ou des jeunes ménages et des ouvriers qui sont réclamés par un habitant du pays. Ainsi les hommes établis depuis plusieurs années en Australie peuvent obtenir des billets de passage à prix réduit pour leurs parens et pour les artisans qu’ils ont l’intention d’occuper. Certains squatters ont usé largement de cette faculté pour introduire des familles entières qu’ils établissaient sur leurs domaines; de même un manufacturier peut faire venir d’Europe sans une dépense considérable les ouvriers dont il a besoin. Ce système a cela d’avantageux, qu’il ne profite qu’à des hommes de choix, qui sont une bonne acquisition pour la colonie, et non à des êtres déclassés qui en seraient le fléau. Le colon à la demande duquel les billets de passage sont accordés est intéressé à ce qu’il en soit fait bon usage.

Si les émigrans mâles eurent souvent à se plaindre de la façon dont ils étaient traités à bord des bâtimens de transport pendant le long voyage de trois mois au moins entre les côtes d’Europe et celles du nouveau continent, c’était pour les femmes une épreuve bien autrement redoutable. Au début de toute colonie, les femmes sont en minorité, c’est l’histoire de tous les temps. Rétablir la proportion entre les deux sexes fut sans doute une pensée sage, mais d’une exécution difficile. Lorsque les convicts formaient la plus grande partie de la population, la société australienne était d’une immoralité révoltante : les femmes transportées étaient en général bien plus corrompues que les hommes, car ceux-ci étaient souvent condamnés à la déportation pour des crimes qui n’annonçaient pas une nature perverse, tandis que les femmes n’étaient expulsées de la métropole qu’après qu’il avait été reconnu impossible de les amender. L’immigration libre ne fournit pas d’abord de beaucoup meilleurs résultats. Les femmes qui se présentaient volontairement pour aller aux antipodes appartenaient presque toutes aux classes les plus dégradées, et les bâtimens de transport étaient le théâtre de scènes scandaleuses. Les désordres furent tels que le gouvernement fut obligé d’intervenir et de placer sur chaque navire affecté à ce service un chirurgien de la marine royale qui, investi de l’autorité d’un dictateur, était chargé de maintenir le bon ordre et la discipline.

Il était sans doute délicat de recruter dans la population anglaise des femmes qui ne fussent pas un sujet de honte pour la société coloniale. Dès 1831, il arrivait d’Irlande cinquante jeunes filles orphelines qui avaient été élevées dans les principes de vertu et de religion et formées aux devoirs de la vie domestique : elles se marièrent promptement. Les orphelinats de l’Angleterre fournirent plus tard un grand nombre de jeunes filles de quinze à vingt ans qui s’ex-