Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/999

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flots, toute la nature riche et variée des contrées bénies par le soleil vient captiver et distraire l’attention du voyageur. Le ciel même change d’aspect et se pare de nouvelles constellations inconnues à l’Europe. La Croix-du-Sud, l’orgueil de l’hémisphère austral, étincelle au firmament. Ce sont les plus beaux jours du voyage, car bientôt, après avoir dépassé la latitude du cap de Bonne-Espérance, le navire sera sûrement surpris par des coups de vent sur cette mer sans limites dont les vagues surpassent en hauteur et en étendue tout ce que l’on peut voir sur les autres océans du globe. Si l’on est dans la saison froide de l’année, quelques montagnes de glace, détachées du pôle sud, vogueront lentement à l’horizon, en marche vers les climats tempérés, dont la chaleur doit les fondre. Cependant on approche du but. Le navire, que la ligne inflexible du plus court chemin a entraîné dans les hautes latitudes, s’en éloigne maintenant et se dirige droit sur l’Australie. Déjà on sent les exhalaisons terrestres que la brise apporte le soir; on aperçoit au loin le phare du cap Otway, premier point lumineux du nouveau continent. Enfin on franchit l’entrée du Port-Phillip, et l’on peut se dire que l’on est dans un nouveau monde, où l’homme marche à l’opposite des Européens, où le premier jour de l’année tombe en plein été, Pâques à l’automne et Noël dans la canicule. La terre australienne se déroule autour de la baie, verdoyante de la verdure d’un autre climat, bizarre jusque dans sa végétation. Pour les uns, il n’y a qu’un champ d’or à l’horizon; à leurs yeux, la poudre d’or brille seule dans l’éloignement. D’autres verront des terrains à défricher qui comblent les vœux de l’agriculteur. Le savant et l’artiste s’étonneront de l’étrange apparence qu’ont les choses et les êtres. Pour tous, il y a là peut-être une nouvelle patrie, au moins une terre promise où l’on se flatte que les déceptions seront plus rares, la fortune moins rebelle, le champ moins rétréci que sur les anciens continens.


H. BLERZY.