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en lui de métaphysique n’ayant plus de raison d’être, il ne fut plus que le feu sacré, portion symbolique du culte, bouche des dieux, messager qui transmet en vapeurs odorantes à leur vaste corps l’offrande de ceux qui les adorent. Il ne restait plus pour constituer le panthéisme, tel qu’il existe, dans l’Orient depuis bientôt trois mille ans, qu’à concevoir ces divinités comme des formes d’un même être absolu, et à ramener cette diversité de figures à une unité de laquelle toute figure fût exclue. C’est cette unité qui reçut le nom neutre de Brahmâ.

En essayant de remonter aussi haut que possible dans le passé des temps védiques, nous n’y trouvons plus la moindre trace de panthéisme, si ce n’est que l’idée de création ne s’y rencontre pas. Les plus anciens hymnes et tout ce qu’ils nous permettent de connaître des temps qui les ont précédés, ne laissent aucun doute sur la nature de ces religions primitives : c’était le polythéisme et rien autre chose. Ce fait est considérable dans la science, car il est en opposition formelle avec ce que croient beaucoup de personnes parmi les chrétiens, que toutes les religions procèdent de la tradition biblique ; cette opinion est fausse, et il faut absolument y renoncer. Non, il n’y a dans le Vêda rien qui émane des mêmes sources que le sémitisme. Plus ses hymnes sont anciens, moins ils laissent entrevoir l’idée d’un dieu unique séparé du monde. C’est sous des formes multiples que la pensée aryenne l’a d’abord conçu. Ces figures divines n’ont été d’abord que des forces physiques amplifiées, et divinisées ; plus tard, elles ont revêtu, mais en se transformant peu à peu et quelquefois en changeant de nom, des conceptions métaphysiques, et c’est après bien des siècles que l’esprit des Aryas s’est enfin élevé à la conception de l’unité absolue. Comme ils avaient pris pour point de départ les choses réelles qui tombent sous les sens et les faits non moins réels que la conscience nous dévoile, ils n’ont jamais perdu de vue ces bases solides de leur édifice religieux. La pensée, la vie, la succession infinie des formes qui passent de l’une à l’autre sans intervalle, comme les eaux d’un fleuve qui coulent sans s’interrompre, voilà ce qui les a sans cesse préoccupés, ce qui les a conduits par la voie la plus directe à ce panthéisme dont les Occidentaux ont une idée si incomplète et souvent si fausse. L’idée d’un Dieu individuel séparé du monde n’est nulle part dans les doctrines aryennes, ni à la fin, ni au milieu, ni surtout dans leurs origines védiques.

C’est au point où nous sommes qu’une science de création toute récente, la philologie comparée, commence un rôle où nulle autre science ne peut la suppléer. Notre intention n’est pas d’en donner ici un exposé, même sommaire. Disons seulement que sa méthode analytique et comparative, appliquée aux mots analogues de langues