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yeux les élèves eux-mêmes : ce serait donc un luxe bien placé, un sacrifice profitable, tandis que ces ateliers qu’on vient d’improviser, nous prions qu’on nous dise ce qu’on peut en attendre. Il ne s’agit ici, bien entendu, que de l’institution ; nous voulons oublier qu’elle a pour interprètes des hommes dont le talent nous a souvent charmé, et que nous professons pour quelques-uns d’entre eux la plus sincère estime personnelle. Ce qui d’abord nous indispose dans cette nouveauté, c’est qu’elle est comme une interdiction de tout essai du même genre entrepris par des particuliers. On regrette, dit-on, on déplore les difficultés que rencontrent la fondation et même le maintien des ateliers indépendans, et voilà qu’on ajoute à ces difficultés le plus grand des obstacles, la concurrence de l’état ! Il est bien clair que désormais personne ne fera la folie de tenter par ses propres moyens ce que fait l’état avec l’argent de tous. Ainsi plus de libres ateliers, voilà le profit net du cadeau qu’ on nous fait.

A-t-on du moins cherché à combiner de telle sorte ces ateliers artificiels qu’ils puissent représenter les diversités principales de l’art de peindre et simuler les contrastes naturels que la libre concurrence eût produits ? Ont-ils chacun un caractère à part, une mission déterminée ? Vous en pouvez juger. Sans assister aux leçons, sans interroger les élèves, comparez les œuvres des maîtres. Entre ces trois professeurs, il y a bien quelques différences, mais à quelques égards on pourrait s’y tromper. S’ils se distinguent, c’est par certains détails, la dimension des toiles, l’échelle des figures, la nature de la touche, en un mot par les procédés : le style chez tous les trois est à peu près le même. Aucun d’eux ne poursuit cette noble chimère qu’on nomme l’idéal, aucun d’eux n’a jamais élevé son pinceau jusqu’aux vérités saintes : ils ont un même but, que souvent ils atteignent, charmer le spectateur en consultant ses goûts, en les flattant parfois. Dès lors pourquoi trois ateliers ? A quoi bon cette surabondance ? Un seul aurait suffi, à supposer qu’un seul fût même nécessaire, et que, sans ce renfort, l’art de peindre fût chez nous menacé de s’éteindre. Hélas ! il n’est que trop prospère ! Si chez nos peintres, chaque année, l’intelligence, la pensée, l’expression, semblent faiblir de plus en plus, n’est-il pas vrai qu’ils ont la main de jour en jour plus exercée, plus hardie, plus habile, disons-le même, plus savante ? N’êtes-vous pas stupéfait de rencontrer parfois dans les plus pauvres œuvres, dans les conceptions les plus plates, une souplesse, une ampleur, une dextérité de touche dont plus d’un maître serait jaloux ? Ces progrès du métier, ils sont incontestables. Ajoutons qu’ils sont désolans, car ce n’est qu’aux dépens de l’art que le savoir-faire grandit ainsi : il se nourrit de sa