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toujours prêts à commettre quelque excès. On sait comment après Thapsus, quand il vit que tout était perdu, il ne voulut pas accepter le pardon du vainqueur et se tua à Utique.

Cette mort eut un immense retentissement dans tout le monde romain. Elle fit rougir ceux qui commençaient à s’accoutumer à l’esclavage ; elle rendit une sorte d’élan aux républicains découragés et ranima l’opposition. De son vivant, Caton n’avait pas toujours rendu de bons services à son parti, il lui fut très utile après sa mort. La cause proscrite avait désormais son idéal et son martyr. Ce qui lui restait de partisans se réunit et s’abrita sous ce grand nom. À Rome surtout, dans cette grande ville inquiète et remuante, où tant de gens courbaient la tête sans se résigner, sa glorification devint le thème ordinaire des mécontens. « On se battit autour du corps de Caton, dit M. Mommsen, comme à Troie on s’était battu autour du cadavre de Patrocle. » Fabius Gallus, Brutus, Cicéron, et beaucoup d’autres sans doute que nous ne connaissons pas, écrivirent son éloge. Cicéron commença le sien à la demande de Brutus. Il fut d’abord rebuté par la difficulté du sujet : « c’est un ouvrage d’Archimède, disait-il ; » mais en avançant il prit goût à son travail, et il l’acheva avec une sorte d’enthousiasme. Ce livre n’est pas arrivé jusqu’à nous ; nous savons seulement que Cicéron y faisait une apologie complète et sans réserve de Caton : « il l’élève jusqu’aux cieux, » dit Tacite. Ils avaient été cependant plus d’une fois en désaccord, et il en parle sans beaucoup de ménagemens dans plusieurs endroits de sa correspondance ; mais, comme il arrive, la mort raccommoda tout. D’ailleurs Cicéron qui se reprochait de n’avoir pas assez fait pour son parti, était heureux de trouver une occasion de lui payer sa dette. Son livre, que recommandaient à la fois le nom de l’auteur et celui du héros, eut un si grand succès que César en fut inquiet et mécontent. Il se garda bien cependant de laisser voir sa mauvaise humeur ; au contraire il s’empressa d’écrire une lettre flatteuse à Cicéron pour le féliciter du talent qu’il avait déployé dans son ouvrage. « En le lisant, lui disait-il, je sens que je deviens plus éloquent. » Au lieu d’employer aucune mesure de rigueur, comme on pouvait le craindre, il pensa que la plume seule, suivant l’expression de Tacite, devait venger les attaques que la plume avait faites. Par son ordre, son lieutenant et son ami Hirtius adressa à Cicéron une longue lettre, qui fut publiée, et dans laquelle il discutait son livre. Plus tard, comme cette réponse ne fut pas jugée suffisante, César lui-même entra dans la lice, et, au milieu des soucis que lui causait la guerre d’Espagne, il composa l’Anti-Caton.

On a justement loué cette modération de César : elle n’est pas