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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 54.djvu/139

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et d’arbitre dans cette époque de violence finissait par prêter à rire. Cicéron lui-même, quoiqu’il fût son ami, se moque un peu de lui, quand il nous montre ce grand pacificateur partant avec son petit secrétaire, après avoir repassé toutes ses rubriques de juriste, pour s’entremettre entre les partis au moment où les partis ne demandent qu’à se détruire.

César avait toujours pensé que Sulpitius n’était pas d’un caractère à lui opposer une grande résistance, et il avait travaillé de bonne heure à se l’attacher. Il commença par se faire un allié dans sa maison, et un allié puissant. On disait beaucoup dans Rome que le bon Sulpitius se laissait mener par sa femme Postumia : Cicéron, qui aime à redire les méchans bruits, nous le laisse plusieurs fois entendre. Or Postumia n’avait pas la réputation d’être sans reproches, et Suétone place son nom dans la liste de celles qui furent aimées de César. Elle se trouve là en très nombreuse compagnie ; mais ce volage, qui passait si vite d’une maîtresse à l’autre, avait ce privilège singulier, que toutes les femmes qu’il délaissait n’en restaient pas moins ses amies dévouées. Elles lui pardonnaient ses infidélités, elles continuaient à s’associer à tous ses succès, elles mettaient au service de sa politique ces prodigieuses ressources de finesse et d’obstination qu’une femme qui aime est seule capable de trouver. C’est sans doute Postumia qui décida Sulpitius à travailler pour César pendant tout le temps qu’il fut consul, et à s’opposer aux emportemens de son collègue Marcellus, qui voulait qu’on nommât un autre gouverneur des Gaules. Cependant, malgré toutes ses faiblesses, Sulpitius n’en était pas moins un républicain sincère, et quand la guerre eut éclaté, il se déclara contre César et quitta l’Italie. Après la défaite, il se soumit comme les autres, et il avait repris ses occupations ordinaires quand César l’alla chercher dans sa retraite pour lui donner la Grèce à gouverner.

Il était certainement impossible de trouver un gouvernement qui lui convînt mieux. Le séjour d’Athènes, de tout temps agréable aux riches Romains, devait l’être plus encore en ce moment, où cette ville servait d’asile à tant d’illustres exilés. En même temps que Sulpitius avait le plaisir d’entendre les rhéteurs et les philosophes les plus célèbres du monde, il pouvait causer de Rome et de la république avec de grands personnages comme Marcellus et Torquatus, et satisfaire ainsi tous ses goûts à la fois. Il n’y avait rien qui dût plaire davantage à ce savant et à ce lettré, dont le hasard avait fait un homme d’état, que l’exercice d’un pouvoir étendu, mais sans péril, mêlé aux jouissances les plus délicates de l’esprit, dans un des pays les plus beaux et les plus grands du monde. César l’avait donc servi à souhait en l’envoyant par devoir dans cette ville où