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innocente, l’enfance sans péché, sont moissonnées dans leur fleur, pourquoi des enfans. à la mamelle sont voués aux démons, pourquoi la lèpre, pourquoi les convulsions fatales de l’épilepsie, tandis que des impies, des adultères des homicides, des sacrilèges, vivent sous nos yeux, brillans de santé, et blasphèment Dieu ?… Ces pensées m’assaillent, mais je les repousse avec terreur, car les jugemens du Seigneur sont un abîme sans fond, et je m’écrie en frémissant : « Trésor de la sagesse et de la science de Dieu, que celui-là est insensé qui veut connaître tes voies et scruter tes jugemens !… » Je m’incline donc devant des volontés que j’adore, et si je verse des larmes, ce n’est pas que je pleure celle qui nous a quittés, je pleure sur nous, qui l’avons perdue…

« Prends garde, Paula, que le Sauveur ne te dise : « De quoi t’irrites-tu ? De ce que ta fille est devenue mienne ? Tu t’indignes de mon jugement ; tes larmes rebelles protestent ; contre moi et font injure à ton Dieu d’avoir voulu la posséder ! Tu sais ce que je pense de toi et de ceux qui te restent. Tu te refuses de la nourriture non par amour du jeûne, mais de la douleur. Cette abstinence-là, je la désavoue ; ces jeûnes-là, je les renie, ils sont mes ennemis. Je ne reçois pas dans mon sein une âme qui, malgré moi, s’est séparée de son corps. Laisse ces martyres insensés à une orgueilleuse philosophie, laisse-les aux Zenon, aux Cléombrote, aux Caton : mon esprit ne descend que sur l’humble et le pacifique, et non sur celui qui se révolte. Tu m’as promis obéissance ; lorsque, revêtant l’habit religieux, tu t’es séparée des autres matrones, tu as laissé là avec les vêtemens du monde ses sentimens et ses idées. Pleurer comme tu fais, te désoler ainsi n’appartient qu’aux robes de soie. Mon apôtre l’a dit en mon nom : « Ne vous attristez pas comme des gentils sur ceux d’entre vous qui dorment du dernier sommeil ; » si tu croyais ta fille vivante, tu ne regretterais pas qu’elle eût rejoint une meilleure patrie… »


Il montre ensuite assez doucement qu’elle doit supporter cette mort avec résignation ; mais peu à peu sa parole devient plus sévère, et l’autorité du prêtre éclate dans tout ce qu’elle a d’impérieux et d’inflexible. Il faut que Paula cesse de pleurer : son affliction excessive met son salut en péril, scandalise les infidèles, déshonore l’église et la profession monastique, qu’elle a voulu embrasser. Cette affliction sans mesure est un artifice du démon, qui, ne pouvant plus rien contre la fille victorieuse et triomphante, tourne sa rage contre la mère : il tâche d’arracher son âme à Jésus-Christ par une faute qui semble se justifier par sa cause même ; il cherche à rendre orpheline et délaissée cette douce vierge Eustochium, dont l’âge et la naissante piété ont besoin de l’appui maternel. — « T’imagines-tu, Paula, que ces cris de haine des païens n’aient pas causé autant de tristesse au Christ que de joie à Satan ? Oui, c’est Satan qui, dans son ardent désir d’avoir ton âme, te présente l’appât d’une pieuse douleur. Il fait perpétuellement passer sous tes yeux l’image de ta fille, pour tuer la mère de celle qui l’a vaincu, et envahir la solitude de la sœur orpheline. Je ne dis pas cela pour t’effrayer, et