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Ducerceau, « la multitude de la besogne qui y est[1]. » M. Michelet, dans une page concise et forte, nous y montre le caractère même du prince qui l’a construite et la transformation des anciennes mœurs. Ce n’est plus le vieux château-fort, « serré et étranglé comme un soldat dans sa cuirasse ; » ce n’est plus le donjon inhospitalier du moyen âge : c’est une merveilleuse abbaye de Thélème comme celle que Rabelais a bâtie en son Pantagruel avec le crayon d’un Primatice et le pinceau d’un Paul Véronèse. « Au dehors, l’unité, l’harmonie solennelle des tours, avec leurs clochetons et cheminées en minarets orientaux, sous un majestueux donjon central ; au dedans, la diversité, toutes les circulations faciles, et les réunions, et les à parte, toutes les libertés du plaisir. »

C’est là que Maurice de Saxe allait régner à sa manière. Le somptueux édifice, il faut le reconnaître, n’avait jamais reçu un pareil hôte. De tous les contrastes que présente l’histoire du château de Chambord, celui-là est le plus singulier. Les élégances discrètes, les facilités mystérieuses n’étaient guère à l’usage du Saxon qui entrait botté à la cour, et qui, par système autant que par goût, fréquentait sans vergogne les compagnies suspectes. « Le comte de Saxe, a dit le baron Grimm, aimait la mauvaise compagnie en femmes, et même en hommes, par choix et par hauteur. Il ne se serait pas trouvé déplacé sur un trône, et avec une âme de cette trempe on ne se trouve bien ni dans les antichambres de Versailles ni dans les soupers de Paris, où l’égalité préside[2]. » Ce jugement est vrai malgré l’exagération des paroles, et l’on comprend dès lors que les « libertés du plaisir » ne lui fussent point nécessaires. Le château qui avait abrité tour à tour les galanteries de François Ier, les intrigues de Catherine de Médicis, les tristesses de Louis XIII, les fêtes voluptueuses de Louis XIV, l’existence religieuse et bourgeoise de Stanislas Leczinski, allait donc, par un nouveau contraste, servir de théâtre à l’ambition inquiète, aux plaisirs violens d’un homme de guerre tombé dans l’inaction.

Son premier acte est une pétition au roi pour obtenir le rang et les honneurs dont jouissent les princes de maison souveraine établis dans le royaume. En voici le texte :


« Le comte Maurice de Saxe, maréchal-général des camps et armées du roi, représente très humblement à sa majesté qu’il a l’honneur d’être fils d’un grand roi, chef d’une des plus illustres maisons souveraines de l’Europe, et qu’il a eu celui d’être légitimement élu duc de Courlande. S’il est vrai que la force et la violence le privent de la possession de cette souveraineté,

  1. L’ouvrage de Ducerceau, Des plus excellens bâtimens de France, a été publié à Paris en 1556 avec une épître dédicatoire à Catherine de Médicis.
  2. Correspondance littéraire adressée à un souverain d’Allemagne, depuis 1770 jusqu’en 1782, t. II, p. 234.