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ses intérêts ? La Hongrie n’a pas voulu se rallier encore au système libéral de l’Autriche ; mais sa cause a cessé de nous intéresser et de nous émouvoir depuis que nous savons qu’il y a un parlement libre à Vienne, et que la Hongrie pourrait y envoyer, si elle le voulait, quatre-vingts de ses membres. On n’opprime pas une minorité aussi forte, et il ne dépendrait que d’elle d’obliger la majorité à compter avec ses intérêts.

Il n’est pas jusqu’aux Polonais qui ne trouvassent la meilleure solution de tous leurs griefs dans la liberté. Supposons pour un moment que demain, abdiquant son ancienne formule gouvernementale, la Russie veuille faire l’essai d’un parlement libre et d’une certaine liberté de la presse et qu’elle appelle les Polonais à jouir de ces prérogatives nouvelles, toute tentative d’insurrection n’aurait plus de raison d’être, car la Pologne obtiendrait par son admission dans le parlement, par la liberté, beaucoup plus peut-être qu’elle n’obtiendra jamais par les armes.

La guerre des nationalités se comprend lorsque le despotisme met obstacle à la revendication des droits les plus légitimes ; alors certaines parties d’une nation peuvent être traitées en vaincues et se dire opprimées. Tel a été le sort de l’Irlande, de la Hongrie, tel est encore le sort de la Pologne ; mais avec la liberté le cri des nationalités ne se comprend plus, il est même un anachronisme absurde, en ce sens que le développement actuel de la civilisation tend sinon à unifier toutes les races, au moins à faire disparaître tout ce qu’il y a en elles de trop dissemblable. « Les haines de peuple à peuple, ce qu’on appelle les nationalités, a dit un des derniers ministres anglais, un philosophe, sir George-Cornewall Lewis, sont une des formes de la folie humaine. » On comprend que les peuples libres soient en suspicion à l’égard des gouvernemens absolus et réciproquement, parce qu’il y a là des intérêts tout à fait différens et que ces intérêts peuvent être en conflit ; mais qu’au sein d’une même nation certaines parties de cette nation, sous le prétexte qu’elles ont une tradition différente et qu’elles parlent une langue qui n’est pas la même, se déclarent opprimées et veuillent former des groupes séparés lorsqu’elles ont la liberté pour se défendre, cela ne se comprend pas, cela se comprend d’autant moins qu’il vaut mieux pour elles faire partie d’un gouvernement fort qui saura les faire respecter que d’un gouvernement faible, comme le serait chacun de ces groupes où l’on serait toujours exposé à la conquête.

Il y a lieu d’espérer que plus on y réfléchira, plus on sera frappé de ces vérités, plus on sentira qu’on est dans une fausse voie, et qu’il n’y a que la liberté pour résoudre toutes les questions qui embarrassent aujourd’hui l’Europe, qu’il n’y a qu’elle surtout pour