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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 54.djvu/526

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savans. Parmi celles-ci, la philologie comparée occupe la première place : par elle, on remonte dans le passé fort au-delà des plus anciens monumens écrits, on peut reconnaître les notions religieuses qui dans ces temps reculés furent le bien commun de toute une race d’hommes, et ce que les peuples issus de cette race y ont ajouté plus tard ; mais la philologie comparée existe à peine comme science, il n’y a pas un livre où elle soit exposée selon sa méthode et dans ses développemens essentiels. Quand on la transporte dans des sujets religieux, par exemple dans la mythologie, on est exposé au double péril d’y apporter de faux principes et de les mal appliquer. La philosophie, qui n’est pas une science particulière, mais qui domine toute recherche théorique, intervient aussi pour sa part dans la science des religions. Les systèmes métaphysiques ne changent rien sans doute aux faits et modifient à peine les inductions qu’on en tire ; mais la science des religions n’est pas simplement une réunion de faits : comme la philosophie de l’histoire, elle est une théorie, et, suivant les systèmes philosophiques que vous aurez adoptés, vous construirez de façons différentes la partie interprétative de la science, un homme appartenant à une école sensualiste ne verra dans le dieu des modernes qu’une illusion, dans les dieux d’autrefois que des jeux d’esprit, des figures poétiques, ou des mots personnifiés ; un philosophe spiritualiste y verra tout autre chose.

Enfin on n’abordera pas l’étude dont il s’agit avec des dispositions semblables, si l’on y apporte les idées d’un homme de science désireux de connaître la vérité en général, ou si l’habitude de vivre dans un certain ordre de croyances nous fait désirer d’en trouver dans la science la confirmation. Un chrétien fervent se scandalisera, si l’on vient lui dire au nom de la science que les dieux du paganisme n’étaient pas des conceptions fausses, lui qui les a toujours appelés des faux dieux. Tel philosophe aussi ne comprendra pas que l’on admette la divinité du Christ. Et cependant il est certain que les dieux ont été adorés par des peuples qui à bien des égards nous égalaient en civilisation ; d’une autre part, il y a, même pour le philosophe incrédule, une manière très simple de comprendre et d’admettre la divinité de Jésus. Toute science, celle des religions plus que les autres, veut un esprit libre et dégagé d’idées préconçues : comme elle s’adresse aussi bien au brahmane dans l’Inde et au bouddhiste à Siam ou en Chine qu’au chrétien en Europe, il est de toute nécessité que chacun garde sa foi dans son cœur, et permette à son intelligence de suivre les voies que la raison lui ouvre, et qui ne sont ni moins sûres, ni moins obligatoires que celles de la foi. La science des religions n’a rien de commun