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avec la polémique : les hommes qui depuis plus d’un demi-siècle en élaborent les élémens ne sont les ennemis d’aucune religion particulière et n’attaquent aucun culte ; ils ont droit à la même tolérance. Notre siècle d’ailleurs doit trop aux sciences pour souffrir à l’égard de l’une d’elles les anathèmes dont la géologie fut l’objet il y a quelques années : cette science, comme les autres, s’enseigne aujourd’hui dans les écoles ecclésiastiques, elle s’enseigne dans les écoles brahmaniques de l’Inde. Un jour viendra où celle des religions y aura sa place à son tour et n’y paraîtra pas moins utile, ni moins belle que la science des révolutions du globe. Les guerres stériles ne sont plus de mise : une attaque dirigée contre les forces irrésistibles de la vérité tourne toujours à la confusion de celui qui la tente.

Je voudrais essayer de déterminer la nature et les conditions générales de la science des religions, d’en fixer les limites, d’en tracer le plan et d’en exposer les principaux résultats obtenus jusqu’à ce jour. C’est sur la méthode, sur les principes de cette science, que l’attention doit se porter d’abord.


I

On peut déterminer à priori les élémens essentiels de toute religion : cette méthode fut suivie presque seule par l’éclectisme moderne, quand il avait encore la hardiesse d’une école naissante qui se croit maîtresse de l’avenir. On fut conduit à une doctrine que l’on nomma la religion naturelle ; cette doctrine fut admise par presque tous les disciples de l’école, et dans un temps de lutte opposée par eux à ce qu’on appelait alors les religions positives. Nous n’avons pas à examiner en ce moment la valeur de cette théorie ; mais les faits ont prouvé qu’elle n’a jamais pu descendre jusqu’à la pratique ni devenir une réalité : la religion naturelle n’est pas sortie des livres et de l’enseignement, et, comme on admet en principe qu’elle est essentiellement individuelle et que chacun se la fait à soi-même selon sa propre philosophie, il est impossible de dire si elle a exercé sur la conduite des personnes une influence quelconque. Les clergés européens, qui ont combattu cette doctrine comme insuffisante et hors d’état de remplacer l’institution sacrée, étaient, selon nous, plus que les philosophes dans la réalité de la vie ; nous voyons aujourd’hui par les résultats atteints que la religion naturelle n’a presque plus de défenseurs. Le temps où nous vivons jouit, au fond, d’une liberté d’agir moins inquiétée qu’autrefois et d’une indépendance scientifique fort étendue : comme on ne se croit pas obligé d’attaquer la religion et le culte, et que les prêtres et les pasteurs, dégagés de la lutte, laissent généralement en