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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 54.djvu/651

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milieu des satisfactions apparentes de l’opulence, nous demeurons fatalement condamnés ; à plus forte raison doivent-ils en ressentir les angoisses ceux d’entre nous qui ne vivent que du salaire péniblement gagné jour par jour. Quant au fait qui a provoqué l’expression de ces plaintes si amères, c’est la comparaison que les délégués ont pu établir directement entre les salaires de Londres et ceux de Paris et de Lyon. Les salaires à Londres sont plus élevés qu’ils ne le sont en France, et la durée du travail est généralement moindre. Cette simple constatation, sans qu’il fût besoin d’autres recherches, a suffi pour convaincre les délégués que la condition de l’ouvrier, anglais est beaucoup meilleure que celle de l’ouvrier français, et ils en ont conclu que, si les patrons n’accordent point la hausse des salaires, cela tient à leur mauvais vouloir et à leur cupidité, s’exerçant à l’abri d’une législation oppressive pour la classe ouvrière.

Les chiffres de salaires recueillis à Londres par les délégués sont-ils bien exacts, ou du moins (car nous ne suspectons en aucune façon la sincérité des rapporteurs) ces chiffres doivent-ils être considérés comme représentant le taux normal, régulier, du prix de la journée dans la capitale de l’Angleterre ? Rien de plus difficile qu’une telle statistique : le même atelier renferme plusieurs catégories d’ouvriers, les uns gagnant de fortes journées en proportion de leur mérite, les autres obtenant, d’après la même loi, des salaires moindres, d’autres enfin se voyant réduits à une rémunération minime, parce que leur travail est peu productif. Cette hiérarchie des salaires, conforme à la nature des choses et commandée par les besoins de la production industrielle, existe en Angleterre comme elle existe en France, comme elle existe partout. Si donc les délégués avaient comparé les salaires des ouvriers anglais avec lesquels, pendant la durée très courte de leur voyage, ils se sont trouvés en rapport, et qui forment évidemment l’élite des ateliers de Londres, s’ils avaient comparé ces salaires avec le taux moyen des salaires de l’ouvrier français, ils auraient nécessairement commis de graves erreurs. Nous ne hasardons ici qu’une hypothèse ; mais, d’après le peu que nous savons en cette matière et en présence des chiffres qui ont été produits, nous croyons que l’écart signalé entre les salaires des ouvriers en France et en Angleterre a été, pour un certain nombre d’industries, sensiblement exagéré. Ce n’est pas tout : pour apprécier la condition respective des ouvriers dans deux contrées différentes, le taux des salaires à un moment donné n’est point le seul élément qu’il faille considérer. Il convient en même temps de rechercher de quel côté se rencontrent les plus grandes garanties contre le chômage, c’est-à-dire contre la privation absolue