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du salaire, ainsi que les facilités les plus larges ouvertes à l’ouvrier pour s’élever au rang de patron. Il importe enfin d’examiner les faits dans leur ensemble, de consulter l’histoire et de décider dans lequel des deux pays il y a le plus de misère. Or, à ces différens points de vue, il serait peut-être facile de démontrer que la situation industrielle est plus favorable en France qu’en Angleterre. Par suite de l’extension qu’a prise l’industrie anglaise, et qui la rend dépendante de tous les incidens extérieurs, le travail, plus abondant et dès lors mieux rémunéré que partout ailleurs en temps de paix et de prospérité, est de même plus généralement et plus cruellement frappé qu’en aucun autre pays du monde, s’il survient une période de guerre ou de crise. Il est donc plus fréquemment exposé aux interruptions du chômage. La constitution de l’industrie et du commerce repose sur la possession préalable d’un fort capital ; ce qui ne permet guère aux ouvriers de devenir patrons et les maintient à tout jamais à l’état de salariés, tandis qu’en France, sous un régime différent, un horizon plus large est ouvert aux contre-maîtres, aux commis, aux ouvriers intelligens et de bonne conduite, qui, des rangs les plus humbles d’une fabrique ou d’un comptoir, peuvent s’élever à l’indépendance, à la fortune, aux dignités. Et pour l’ensemble n’est-il pas certain que l’Angleterre paie tristement la rançon de sa grandeur, de sa richesse, de l’admiration qu’elle inspire, par le contraste de l’incurable misère qui étale ses haillons dans les cités industrielles ? Peut-on oublier les affreuses périodes de crise qu’ont eu à traverser les ouvriers anglais ? Il a fallu, pour atténuer le mal, recourir à la taxe des pauvres, précipiter l’immigration, créer partout des work-houses, ouvrir toutes les sources de la charité publique et de la charité privée, et même aux époques de prospérité ces expédiens fonctionnent encore. D’où il suit que, tous comptes faits, la condition des populations ouvrières dans la Grande-Bretagne n’est point de nature à exciter notre envie. Les délégués n’ont vu que la surface, ils n’ont point regardé le revers. L’enquête à laquelle ils se sont livrés n’a pas été complète. S’attachant à un fait unique, au chiffre du salaire, ils ont négligé tout le reste, et dès lors, au lieu d’éclairer les ateliers sur la situation comparative des ouvriers dans les deux pays, ils ont rapporté de Londres des notions inexactes qui peuvent, en éveillant de chimériques espérances et des prétentions immodérées, compromettre gravement le sort de l’industrie nationale.

Après avoir rappelé ces considérations générales, nous examinerons la question spéciale du salaire anglais, telle qu’elle a été posée par les délégués. Oui, le prix de la journée de travail à Londres et dans les villes manufacturières est plus élevé qu’il ne l’est à Paris