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et à Lyon. On peut discuter sur la quotité de la différence et sur les chiffres ; mais la différence existe, elle est incontestable. Ce fait admis, il faut en rechercher la cause. Serait-ce qu’en Angleterre les manufacturiers et les patrons sont plus équitables, plus généreux qu’en France ? Prélèvent-ils, à titre de rémunération pour leur capital et de bénéfice pour leur industrie, une moindre part sur l’ensemble de leur production, laissant ainsi une part plus grande à la collaboration des ouvriers ? Aucune de ces deux suppositions ne serait exacte. Les chefs d’industrie sont tout aussi honorables en France qu’en Angleterre ; ils professent et pratiquent à l’égard des populations ouvrières une égale sympathie, et l’on doit, non point dédaigner (car c’est là un grand malheur), mais repousser pour eux ces déclamations injurieuses dont nous regrettons d’avoir retrouvé l’écho dans quelques-uns des rapports émanés des délégations ouvrières. Quant aux bénéfices, il est notoire que ceux des chefs d’industrie sont plus forts en Angleterre qu’en aucun autre pays. On cite à Londres, à Manchester, à Glasgow, en beaucoup plus grand nombre que chez nous, de ces fortunes colossales acquises dans la manufacture. Laissons donc là les récriminations personnelles. Les patrons français ne doivent pas être mis en cause. Ce n’est pas leur faute si le salaire est moindre pour l’ouvrier français que pour l’ouvrier anglais ; ils n’y gagnent rien, et la plupart échangeraient volontiers leur condition contre celle de leurs collègues d’Angleterre, qui peuvent, en rémunérant plus largement le travail de la main-d’œuvre, réaliser pour eux-mêmes des bénéfices plus grands.

Si donc la cause de la différence des salaires ne réside pas dans les personnes, c’est qu’elle existe dans les choses ; c’est là qu’il convient de la chercher, et, disons-le tout de suite, c’est là qu’on la trouve. Par ses nombreuses colonies, par sa supériorité maritime, par les relations qu’elle s’est depuis des siècles créées sur tous les marchés du monde, l’Angleterre a conquis la suprématie commerciale. On la rencontre partout trafiquant, non-seulement pour son propre compte, mais encore, et dans une très forte proportion, comme intermédiaire des autres peuples. Il suit de là que, son capital fût-il moindre que celui de la France (ce qui serait à vérifier), ce capital s’emploie et se renouvelle plus fréquemment par une fabrication plus abondante et par un écoulement plus rapide des produits, de telle sorte qu’il obtient une rémunération bien supérieure. En outre, la nécessité de produire beaucoup et de produire vite, l’insuffisance de la main-d’œuvre dans les périodes d’activité pendant lesquelles les gains sont plus élevés, enfin l’obligation de lutter contre la concurrence étrangère, ont amené