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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 54.djvu/809

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de l’azur infini, qui de tous côtés s’allongeait à perte de vue. Quel contraste avec le dangereux et lugubre Océan ! Cette mer ressemblait à une belle fille heureuse dans sa robe de soie lustrée toute neuve. Du bleu et encore du bleu rayonnant jusqu’au bout, jusqu’au fond, jusqu’au bord du ciel, et çà et là des franges d’argent sur cette soie mouvante. On redevenait païen, on sentait le perçant regard, la force virile, la sérénité du magnifique soleil, du grand dieu de l’air. Comme il triomphait là-haut ! Comme il lançait à pleines poignées toutes ses flèches sur la nappe immense ! Comme les flots étincelaient et tressaillaient sous la pluie de flammes ! On pensait aux néréides, aux conques sonnantes des tritons, à des cheveux blonds dénoués, à des corps blancs lavés d’écume. L’ancienne religion de la joie et de la beauté renaissait au fond du cœur au contact du paysage et du climat qui l’ont nourrie…

Toujours le même ciel tiède et triste. La mer roule lentement, demi-rougeâtre et demi-bleuâtre, avec cette teinte d’ardoise foncée qu’on voit dans les carrières profondes. Parfois le soleil affleure entre les nues, et on voit reluire au loin tout un morceau de mer.

Vers le soir apparaissent des pics neigeux, une longue bordure de montagnes, puis, de plus près, les âpres flancs bosselés, la côte brune de la Corse. Cela est grand à force de simplicité, mais cette nudité est stérile. On se récite involontairement les vers d’Homère sur « l’océan infécond, indomptable. » Cette grande eau sauvage n’est bonne à rien ; on ne peut pas l’apprivoiser, la soumettre, l’accommoder aux usagés de l’homme.

Civita-Vecchia.

Le bateau s’est arrêté. Tout à coup, dans la clarté grise de l’aube, on aperçoit un môle rond, une ligne crénelée de maisons, des toits plats et rougeâtres nettement tranchés sur la surface tranquille de l’eau. — Vers la pleine mer, un beau navire à voiles avance demi-penché comme un oiseau qui plane. — Rien de plus ; deux ou trois lignes noires sur un fond clair, avec la blancheur et la fraîcheur de la mer et de l’aube. On dirait d’une marine esquissée au crayon par un grand maître.

On entre dans la ville, et l’impression change : une triste ville, mélange de ruelles infectes et de bâtimens neufs administratifs qui ont la platitude et la correction de l’emploi. Quelques-unes de ces ruelles ont cinq pieds de large, et les maisons s’appuient les unes sur les autres par des contre-forts mis en travers. Le soleil n’y arrive jamais ; la boue est gluante. Parfois l’entrée est une vieille bâtisse du moyen âge avec un porche et des sortes de créneaux. On entre avec hésitation dans ce boyau, et des deux côtés apparaissent