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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 54.djvu/901

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qui en dédaigne les accidens, qui tient pour néant tous les tourmens physiques, et cette impuissance d’agir, de parler, de penser qu’ils infligent à ceux qui ont une famille à soutenir, du bien à faire, un pays à servir, un nom à honorer, cette mort anticipée qui n’offre pas même le bien apparent de la mort véritable, le repos.

Enfin qui ne connaît de bien autres épreuves ? J’ai nommé l’affection, la famille, la mort ; je n’ai rien de plus à dire. Qui sera assez osé pour me nier la douleur ?

Une autre forme de la négation stoïcienne de la douleur est cette exagération du mysticisme soutenant que nos maux sont des bienfaits de Dieu, et qu’il faut l’en remercier avec reconnaissance. La religion ne dit pourtant pas cela ; prise dans ses vérités générales ou dans le récit évangélique, elle est plus conforme à la nature et à la raison, qui nous disent de craindre la souffrance et le malheur. Elle enseigne la compassion et la charité, qui n’auraient pas de sens, si nos calamités étaient des bonnes fortunes envoyées par la Providence. Elle implore, elle célèbre cette suprême bonté qui nous dispense les biens de la terre, et l’on ne raconte guère de miracles du Christ qui n’aient eu pour but le soulagement de l’humanité. Enfin la prière même est autorisée, quand elle demande au ciel la fin d’un mal ou quelque bonheur positif et connu. Mais parce que la même religion, dans sa sollicitude pour les affligés et les humiliés, les relève complaisamment et les montre moins dépourvus des dons spirituels que les riches et les puissans, — parce que, afin de mieux prouver qu’elle est venue sauver l’humanité tout entière, elle offre à une multitude longtemps déshéritée la meilleure part de l’héritage céleste, on a inventé de présenter toutes les afflictions comme des bénédictions. La religion, qui est essentiellement une morale en vue de Dieu, rappelle avec raison au malheureux que le malheur a ses devoirs, qu’il doit nous être une occasion de courage, de patience et de douceur qu’on peut, par la réflexion, trouver dans la souffrance un moyen de perfectionnement, et même l’offrir à Dieu comme une expiation, et de ces conseils austères on a pris prétexte pour inventer cette hyperbole qu’il faut se réjouir de ses peines et voir la bonté céleste dans la misère de l’humanité. L’excès auquel on pousse ces subtiles contre-vérités ne peut se comprendre. Les cœurs les plus tendres, les esprits les plus délicats, se permettent tout en ce genre, et on trouve sur ce texte, dans les lettres spirituelles de Fénelon, des passages qui confondent. Ce sont au fond pures antithèses de rhéteurs ; mais il y a des âmes qui les prennent au sérieux. On voit des gens désolés répéter en sanglotant que Dieu les éprouve par