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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 54.djvu/961

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dans ce moule savant où elles semblent venues d’une pièce, sans fêlures et sans scories. Tout homme d’ailleurs sait quel est le meilleur instrument de sa force ; il s’y tient et n’en change pas sans se faire une certaine violence. L’improvisation exige une faculté particulière où la nature et l’art mettent également du leur ; rien ne prouve que Say y eût mieux réussi que dans ses lectures. Les succès de conversation ne sont pas toujours un indice. Dans une chaire, on n’a point d’interlocuteurs ; il y faut plus d’apprêt, plus d’haleine, se posséder mieux, ordonner son sujet avec plus de soin ; il faut surtout que, dans les parties bien préparées, les troubles de la mémoire ne viennent pas déranger les effets qu’on s’était promis. À ces chances de l’inspiration Say préférait un texte définitif qui, recueilli en volumes, formait un corps de doctrines. S’il se privait ainsi de rencontres éloquentes, il prenait sa revanche dans une autre éloquence dont le prix n’est pas moindre, celle de la raison, qui soutient et vivifie presque toutes ses pages. Son auditoire ne lui demandait rien de plus et le lui prouva par l’hommage auquel il était le plus sensible, une attention persévérante.

Son successeur réussit par des moyens tout autres. C’était Blanqui aîné, esprit aussi passionné qu’intelligent. Ce changement de titulaire eut lieu après les événemens de 1830. Par un retour d’opinion et dans le premier feu de la victoire, l’économie politique obtint une courte réparation. On lui restitua son nom et on la rattacha à l’enseignement supérieur ; une chaire fut créée pour elle au Collège de France ; Say était désigné pour l’occuper. On lui livrait un domaine nouveau, un champ plus vaste ; il montait en grade avec plus de liberté d’allures, et la faculté d’entrer de plain-pied dans la science générale sans déguisemens ni détours. Par malheur, cet avancement arrivait trop tard. La santé du professeur s’était affaiblie ; il mourut à deux ans de là, laissant un vide qu’il était difficile de combler. Dans l’intervalle, la vacance au Conservatoire avait cessé ; sur la proposition de Say, Blanqui, l’un de ses meilleurs disciples, avait été agréé. Blanqui était jeune, ardent ; il avait fait ses premières armes dans la presse de l’opposition et en avait gardé les goûts belliqueux. Dès l’ouverture du cours, le public put voir que désormais les émotions ne lui seraient plus épargnées. Blanqui s’asseyait dans sa chaire sans cahiers, sans documens. Point d’autre préparation qu’une feuille volante où quelques notes étaient tracées au crayon. À peine y jetait-il les yeux, tant il était sûr de sa parole. Il avait en outre l’accent, le débit, le geste, tout ce qui fait l’orateur. Se trouvait-il à court sur un point de doctrine, ou craignait-il de lasser son public en y insistant, il se sauvait par une digression heureuse. Le sentiment le servait mieux que la discussion ; il racontait