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permet pour démontrer que l’Ancien Testament annonçait déjà la naissance miraculeuse du Christ. Voici, comme échantillon, l’un de ses argumens : — la terre d’où Adam fut tiré était encore vierge ; donc il fallait que le second Adam naquît aussi d’une vierge. — Non-seulement il reproduit la vieille légende fabriquée pour diviniser la version des Septante et d’après laquelle les soixante-dix interprètes, travaillant chacun à part dans sa cellule, auraient apporté au roi Ptolémée Lagide[1] soixante-dix traductions mot à mot semblables d’un bout à l’autre ; cette légende était généralement répandue de son temps et dispensait d’étudier les livres saints sur le texte original ; il sait encore quelque chose de bien plus curieux et qui doit prévenir les doutes que pourrait susciter la première histoire. Il affirme en effet que, les livres sacrés des Juifs ayant péri pendant la captivité de Babylone, l’esprit divin communiqua au lévite Esdras le pouvoir de rétablir de mémoire toute la Loi et tous les Prophètes !

C’est lui encore qui nous a conservé ce fameux passage du millénaire Papias, d’après lequel les élus du règne de mille ans passeraient leur temps de paradis dans d’inexprimables bombances, récoltant des épis mille fois gros comme les nôtres, et se désaltérant avec des grappes dont chaque grain donnerait vingt-cinq mesures de vin. Irénée reproduit fort sérieusement cette description d’un paradis qui eût attendri le bon Pantagruel, et s’attend fermement à voir bientôt les lions devenir herbivores ! Nous disons bientôt, car il partage avec la majorité des chrétiens de son temps l’idée que la fin du monde actuel est proche ; mais il y a deux manières de donner dans les erreurs de son temps. On peut y participer involontairement, on peut y adhérer chaleureusement. Irénée est dans ce dernier cas. Sans doute il ne faut pas lui reprocher sa manie d’interpréter allégoriquement et avec une extrême liberté les textes de l’Écriture. C’est une faiblesse alors générale, et qui n’a pas entièrement disparu, même de nos jours. Les allégories peuvent cependant être naturelles ou forcées, spirituelles ou niaises. Or Irénée nous en donne de ce dernier genre qui passent toute permission. — Si Jacob, dit-il, doit avoir des enfans de ses deux femmes, Lia et Rachel, c’est que le Christ devait en avoir aussi sous les deux législations mosaïque et chrétienne : Rachel, aux beaux yeux, la préférée du patriarche, figurait l’église. Loth et ses deux filles engendrant deux peuples après la ruine de Sodome,

  1. La désignation de ce Ptolémée est elle-même dictée par le désir de vieillir cette version. Ordinairement on fait honneur de cette entreprise à Ptolémée Philadelphe, successeur du Lagide, qui mourut l’an 284 avant Jésus-Christ.