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Il y a là du bon sens, de la fermeté et une religiosité profonde. Nous ne savons rien de la vie privée d’Irénée ; mais il doit avoir eu des qualités aimables de cœur et d’esprit. Son caractère doit avoir été conciliant, optimiste, sa conversation enjouée, son conseil sage dans les circonstances difficiles, sa conduite grave et respectable. En un mot il a été l’un de ces personnages qui se font estimer et beaucoup aimer dans le monde religieux, et si l’on a pu définir Tertullien un théologien-orateur, on ne saurait mieux caractériser Irénée qu’en disant qu’il fut un parfait homme d’église. Il eut de l’homme d’église les qualités, il en eut aussi les défauts. Irénée par exemple a probablement mérité son nom ou peut-être son surnom qui signifie pacifique ; mais entendons-nous bien : s’il fut aimable, conciliant, ami de la paix, ce fut à la condition qu’on ne sortît pas d’un cercle assez large, si l’on veut, mais rigoureusement décrit. Une fois ce cercle dépassé, il était intraitable. Qu’on se figure un gallican d’autrefois, tolérant chez les autres bien des variétés d’opinion, pourvu qu’on reste dans l’intérieur de l’église catholique, mais trouvant tout naturel qu’on pende les hérétiques dans ce monde et qu’on les brûle éternellement dans l’autre. Irénée n’a pu sans doute pendre personne ; mais la crémation sans miséricorde et sans trêve de ses adversaires religieux lui parut toujours l’acte le plus légitime de la justice divine. Il suffit d’écouter, pour s’en convaincre, comment, à la fin de son premier livre, il parle de l’hérésie qu’il va combattre dans les quatre suivans.


« Il en est comme d’une bête cachée dans une forêt d’où elle fait des irruptions et dévaste une foule de propriétés. Celui qui bat la forêt pour traquer la bête et la faire déguerpir à la vue des chasseurs n’a pas travaillé pour qu’on la prît. On sait en effet que cette bête est une bête féroce. C’est maintenant aux chasseurs qui la voient de se garer de ses assauts, de lancer leurs dards de tous côtés sur elle, de la blesser, de tuer enfin cette bête ravageuse. De même, lorsque nous aurons exposé au grand jour les mystères cachés des hérétiques et couverts parmi eux du voile du silence, il ne sera pas nécessaire de recourir à beaucoup d’argumens pour ruiner leurs opinions. C’est à toi (celui à qui le livre est dédié) et à tous ceux qui sont avec toi de vous attacher à ce qui vous aura été dit, de renverser leurs doctrines détestables et incohérentes et de déployer des dogmes conformes à la vérité. Les choses ainsi réglées, nous travaillerons selon notre pouvoir à la ruine de nos adversaires et nous vous fournirons aussi des provisions pour atteindre le même but, réfutant toutes leurs assertions à mesure qu’elles paraîtront, afin que nous ne nous bornions pas à faire déguerpir la bête, mais que de tous côtés nous la blessions. »


Ce ne sont pas seulement, on le voit, des erreurs qu’il reproche à ses adversaires, c’est à chaque instant leur impiété, leurs crimi-