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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/1019

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tanistes, et nous savons que le montanisme consistait surtout en un redoublement d’exaltation, dans l’exagération de sentimens répandus dans l’église entière. Les Lyonnais cependant n’étaient pas, ne voulaient pas être schismatiques, et tout ce que nous pouvons deviner du but spécial de leur lettre, c’est qu’elle devait pousser l’évêque Éleuthère à ne pas mépriser une tendance que le martyre venait de consacrer, et engager les chrétiens de Phrygie et d’Asie à ne pas déchirer l’église sous prétexte de la purifier. Les martyrs de Lyon n’avaient-ils pas égalé les autres ? Pourtant ils étaient morts au sein de la grande église. C’était là un fait important à opposer aux intolérances des deux partis en lutte. Irénée, qui ne note pas les montanistes parmi les hérétiques qu’il combat, les regardait donc comme catholiques, bien qu’ailleurs ils fussent déjà mis à l’index. Dans une autre occasion mémorable, il se montra plus clairement encore le défenseur d’une certaine liberté qui ne dépassait point les limites de l’enceinte sacrée.

Dans le cours du iie siècle, une étrange différence, étrange du moins pour ceux qui partent de l’idée que l’imité doctrinale et rituelle date des premiers jours, se manifesta entre l’Orient et l’Occident sur la manière de célébrer la fête de Pâques. En Asie-Mineure, on la célébrait le même jour que les Juifs, conformément à l’ordonnance de la loi mosaïque, tandis qu’à Rome et dans tout l’Occident on n’avait aucun égard à la loi juive, et que l’on reportait la fête sur le dimanche suivant, jour de la résurrection. C’est le point sur lequel Anicet et Polycarpe ne purent s’entendre, et ce point était grave, car sous cette question rituelle se cachait celle bien plus importante des rapports du christianisme avec le judaïsme. La discussion fut apaisée pour quelque temps, du moins entre Rome et l’Asie ; mais en 196 l’évêque romain Victor la renouvela pour des motifs que l’on ignore, et menaça de rompre avec les évêques asiates qui persévéraient dans le maintien d’une coutume remontant, disaient-ils, jusqu’à l’apôtre Jean et conforme à ce que le Seigneur avait fait lui-même la veille de sa mort. Irénée, comme l’école johannique (témoin le quatrième Évangile, qui, contrairement aux trois premiers, n’admet pas que le dernier repas de Jésus ait été un repas pascal), inclinait vers l’opinion exprimée par l’évêque romain sur le fond de la question. Il ne craignit pas cependant de reprocher publiquement à Victor son intolérance, et réclama pour ses frères d’Asie la liberté de suivre paisiblement leur coutume traditionnelle. La lettre qu’il écrivit de ce chef à Victor est fort curieuse ; elle est d’une fermeté qui ne laisse rien à désirer, et l’on voit qu’on est encore loin du temps où, de ce côté des Alpes, on se bornera à répondre aux décrets de l’épiscopat romain : Roma locuta est, causa