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finita est. Victor fut contraint de céder devant ces réclamations énergiques, et la situation resta la même jusqu’au concile de Nicée.

Il est donc bien établi qu’Irénée, tout passionné qu’il était pour l’unité catholique, et précisément parce qu’il voulait que cette unité devînt un fait accompli, alliait à une fougueuse intolérance contre ceux qui en franchissaient les limites dogmatiques une certaine largeur, conforme à la saine politique, vis-à-vis des nuances qui ne les dépassaient pas. Il n’est pas sans intérêt de voir le premier des théologiens de renom qui ait écrit sur notre sol national fonder ainsi ce qu’on peut appeler la tradition gallicane.

Quant aux travaux d’Irénée comme apôtre des Gaules, il y a lieu de penser qu’ils ne furent pas, du moins de son vivant, couronnés de succès très brillans. Grégoire de Tours prétend, il est vrai, qu’il fit de Lyon une ville toute chrétienne ; mais il doit y avoir de l’exagération dans cette assertion de l’historien du vie siècle comme dans celle de l’Oriental Théodoret, qui l’appelle la « lumière des Gaules. » Si une ville telle que Lyon, dès la fin du iie siècle, eût été toute chrétienne, comment serait-il possible que le premier apostolat dont il puisse être sérieusement question après le sien dans l’histoire de notre pays soit celui de Saturninus, qui alla prêcher à Toulouse dans la seconde moitié du iiie siècle ? Grégoire de Tours lui-même reconnaît qu’à cette époque les églises étaient fort peu nombreuses encore sur le sol gaulois. Cela n’empêche pas toutefois qu’Irénée et le cercle dont il était le centre n’aient réussi à jeter en plusieurs lieux les semences de l’avenir. On aurait même le droit de conclure d’un passage de ses écrits que le christianisme avait déjà commencé à faire quelques conquêtes parmi les tribus germaines.

Du reste sa carrière épiscopale ne doit pas avoir été longue. La tradition veut qu’il soit mort martyr pendant la persécution de Septime-Sévère qui sévit l’an 202. Cela est plus que douteux. Grégoire de Tours au vie siècle, Jérôme au ve, sont les premiers qui parlent de ce martyre, et il est bien surprenant qu’avant eux l’histoire ecclésiastique soit complètement muette sur ce point. Comment se fait-il par exemple qu’Eusèbe, si attentif à enregistrer les martyres célèbres, et qui s’est beaucoup occupé d’Irénée, que Tertullien, Épiphane, Théodoret, ses grands admirateurs, n’en aient pas soufflé mot ? Ce fut le théologien anglais Dodwell qui le premier s’aperçut que rien ne prouvait avec certitude le martyre d’Irénée. Ce Dodwell était un singulier personnage. Partisan de la haute église, destitué pour refus de serment après la révolution de 1688, professant des idées qui touchaient de fort près au catholicisme, il était avant, tout un infatigable chercheur, et l’on est tout étonné