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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/1030

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III.

Il n’est pas étonnant qu’un esprit positif, réaliste, nullement poète, comme Irénée, n’éprouvât que répugnance et indignation en présence de semblables doctrines, dont il ne voyait que les absurdités, et dont le côté mystique, le sens idéaliste lui échappait entièrement. Nous savons par lui que le gnosticisme avait pénétré dans la vallée du Rhône, sous la forme valentinienne principalement, et que les femmes surtout avaient accueilli avec faveur cette religion quasi-païenne où le monde entier avait pour cause et pour ressort l’amour passionné, l’attrait de l’inconnu. Que quelques rumeurs scandaleuses aient jeté un jour suspect sur les relations des apôtres de la secte avec leurs néophytes exaltées, c’est ce qui n’aurait rien de très surprenant et ne justifierait point encore les accusations d’immoralité systématique dont Irénée ne cesse de poursuivre ses adversaires. Le gnosticisme n’est pas la seule tendance religieuse qui ait donné lieu à des écarts de ce genre, sans qu’on soit en droit d’en faire un argument positif contre les doctrines et les docteurs ; mais il n’en est pas moins vrai que la direction générale du gnosticisme n’était pas de nature à fortifier beaucoup le sens moral. Tout arrivait, dans le monde comme en Dieu, fatalement, mécaniquement, sans que la volonté individuelle y fût pour rien. On devait au bonheur ou au malheur de sa naissance d’être spirituel, ou psychique, ou matériel ; on ne pouvait rien pour passer du degré inférieur au supérieur, et, si l’on était spirituel, on n’avait qu’à attendre le moment inévitable où les parcelles d’esprit émanées du Plérôme seraient délivrées de leur prison charnelle. La conséquence prochaine était qu’en attendant on ne risquait rien à profiter de son esclavage. Ce qui révoltait aussi le sens chrétien, c’était ce Christ docète, dont le corps apparent n’était après tout qu’un mensonge, puisqu’il faisait semblant de manger, de dormir, de souffrir, quand il n’en était rien. Cela une fois admis, s’écriaient les pères, qui nous répond que tout le reste, sa parole elle-même, n’est pas aussi simple apparence, illusion pure ? Il leur était facile aussi de prouver que l’explication donnée par les gnostiques de l’origine du mal et du péché ne résolvait en rien la grande difficulté. En un mot, l’étonnant n’est pas que le gnosticisme ait été finalement éliminé, vaincu par l’église, c’est qu’il ait pu être si fort et durer si longtemps ; mais cet étonnement cesse quand on pense que, dans cette période de lutte acharnée entre le monothéisme envahissant et le polythéisme virtuellement vaincu, le gnosticisme répondait au