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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/1032

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les commentaires dans son livre, d’ailleurs fort estimable, l’emportent de beaucoup sur le fond. La haute forteresse d’Irénée, à l’abri de laquelle il se réfugiait quand le terrain métaphysique se dérobait sous ses pieds, c’est ce qu’on appelait alors la règle de foi, c’est-à-dire le résumé de certains faits saillans de l’histoire évangélique, joint à une déclaration péremptoire de monothéisme. Cette règle de foi modifiée, agrandie, devint plus tard le credo ou le symbole apostolique, mais elle avait été formulée d’abord en vue de tenir tête aux envahissemens du dualisme et du docétisme gnostiques. On peut s’en apercevoir encore aujourd’hui à la manière dont le credo insiste sur la création du monde par le Père et sur quelques faits de la vie du Christ, dont, en dehors de la lutte contre les gnostiques, on n’eût jamais éprouvé le besoin de proclamer la réalité. Telle était encore néanmoins, au temps d’Irénée, l’indécision de l’église, malgré les efforts auxquels on se livrait partout pour lui donner une croyance officielle, que la règle de foi se présentait autrement conçue à Lyon, à Carthage et à Alexandrie. Il n’en fallait pas moins démontrer que cette règle de foi était conforme à la prédication du Christ et de ses apôtres. Comment s’y prenait-on ? Tantôt les gnostiques accusaient certains apôtres d’avoir falsifié l’enseignement du Christ, tantôt ils prétendaient avoir reçu par une transmission mystérieuse la vérité supérieure que le maître avait confiée à quelques disciples d’élite, après avoir reconnu que les autres ne pouvaient supporter que « le lait des petits enfans. » À ces assertions, Irénée et les pères catholiques de son temps opposèrent leur théorie des sedes apostolicœ, des siéges apostoliques, ou fondés par les apôtres eux-mêmes. Leurs presbytres, leurs évêques, devaient bien mieux savoir que les autres ce qu’il en était de la vraie tradition, et en fait on pouvait affirmer hardiment que leur règle de foi reproduisait bien plus fidèlement cette tradition que les élucubrations tourmentées de la gnose. Voilà pourquoi Irénée s’applique de son mieux à rapprocher des temps apostoliques les autorités qu’il cite, et en tout cas à énumérer la série régulière des presbytres-évêques de ces églises-mères. Comme il écrit en Occident et pour des lecteurs occidentaux, c’est principalement à la tradition du presbytérat romain qu’il en appelle, car Rome est le seul siége apostolique en Occident, et d’ailleurs cette église (c’est chez lui qu’on rencontre pour la première fois cette assertion) a la gloire d’avoir été fondée par les deux plus grands apôtres, Pierre et Paul. Elle est de plus celle de la ville impériale, elle compte parmi ses membres des chrétiens venus de toutes les parties de l’empire, et la tradition apostolique se trouve par là comme centralisée et incessamment rectifiée dans son sein. Irénée incline donc à consi-