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sur la division des pouvoirs, comment ne se préoccuperait-on pas de la division des attributions au sein de la famille, question bien autrement essentielle pour les destinées de l’individu, et par suite pour la prospérité de l’état ? Non, le maigre salaire que reçoit la femme ne compense point la désertion du domicile et l’abandon des soins du ménage. Cette vérité n’exige ni phrases solennelles, ni démonstrations éloquentes. Elle se prouverait par l’arithmétique, alors même qu’il ne lui suffirait pas de s’étayer sur la morale. Sauf des exceptions très-rares, elle est applicable partout et à toutes les conditions, et elle intéresse au plus haut degré la population ouvrière de Paris, dont plus des quatre cinquièmes logent dans leurs meubles, terme vulgaire qui décore l’une des colonnes statistiques de l’enquête, et sous lequel il convient de saluer la famille et le foyer.

Quant aux enfans, l’enquête nous apprend que, sur 25,000 qui travaillent, on compte près de 20,000 apprentis des deux sexes, et que sur ce nombre 4,000 à peine ont passé des contrats réguliers. L’apprentissage n’est point ce qu’il devrait être. Les parens, soit négligence, soit ignorance de la loi, ne prennent point les dispositions nécessaires pour assurer l’éducation industrielle de l’enfant ; les patrons ne se rendent pas compte des devoirs qu’ils ont à remplir envers les apprentis, et ceux-ci sortent trop souvent de l’atelier d’apprentissage n’ayant presque rien appris. La surveillance n’existe pas ; la loi se borne à donner des conseils et ne contient point de sanction. Ces imperfections du régime actuel ont été signalées tout récemment dans la Revue par M. Jules Simon[1], qui demande qu’une loi nouvelle règle en termes plus précis les droits et les devoirs réciproques des familles, des patrons et des apprentis. Nous n’avons pas à insister sur ce sujet, qui a été traité avec autant d’autorité que de talent. Il nous suffira d’ajouter que le perfectionnement de l’apprentissage et de ses conditions dépend surtout du progrès moral et intellectuel des populations ouvrières, et qu’il peut être heureusement secondé par le concours des associations philanthropiques. Une loi, si complète qu’elle soit, ne produira pas la prévoyance et le dévouement là où ces vertus manquent aux familles et aux patrons : elle ne soumettra pas les apprentis à la discipline et au travail. Elle ne sera que l’auxiliaire, très utile d’ailleurs, des sentimens et des influences qui, s’inspirant de l’un des intérêts les plus sérieux de la société et de l’industrie, pénétreront dans les familles, et de là dans les ateliers. En pareille

  1. L’Apprentissage des jeunes Ouvriers dans la petite industrie en France ; voyez la livraison du 1er février 1865.