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qu’on voudrait donner à la défaite de la diplomatie anglaise dans l’année qui suivit, a eu, elle aussi, pour résultat l’injuste immolation d’un autre peuple également brave et confiant. Comment toutefois se défendre d’admirer au moins l’ironie vraiment shakspearienne de la Providence, qui fit si bien de lord Russell, et à un si court intervalle, d’abord le complaisant et ensuite la dupe de M. de Bismark ? Dès la fin d’octobre, et dans une dépêche confidentielle adressée à un de ses principaux agens à l’étranger, le grand homme du moment embrassait déjà la situation générale d’un regard triomphant et poussait un véritable cri de joie. Le ministre du roi Guillaume Ier n’y doute plus de l’attitude future de l’Angleterre ; il se réjouit également de la tournure que prenaient les affaires en Allemagne, où les efforts de l’Autriche venaient d’échouer définitivement dans la dernière tentative des conférences de Nuremberg, et après avoir parlé au long et avec animation de la perspective qu’offraient les complications danoises, il conclut par la remarque que l’entente des trois puissances a cessé d’exister, et que le gouvernement du roi ne peut que se féliciter de la politique qu’il avait adoptée dès le commencement de la rébellion polonaise… Et cependant, pour que cette politique pût porter tous les fruits qu’en attendait M. de Bismark, il fallait encore le concours vraiment étonnant d’événemens étranges et tout à fait imprévus ; il fallait aussi et surtout que la situation de la France vis-à-vis du cabinet de Vienne en fût arrivée à ce degré de lassitude et d’irritation où elle se trouvait déjà vis-à-vis du cabinet de Saint-James. Ce sont donc les vicissitudes des rapports entre la France et l’Autriche qu’il importe maintenant d’exposer avec brièveté, et en reprenant d’un peu plus haut le récit.


II

Dans une intime réunion politique qui se tenait un soir, au milieu de l’automne de 1863, à Londres, un très spirituel membre du parlement rappelait le bizarre procédé des anciens prêtres de l’Égypte, qui, pour guérir une blessure, se hâtaient de faire une ligature à l’instrument contondant qui l’avait occasionnée, et l’honorable gentleman ajoutait que les puissances de l’Occident avaient quelque peu procédé d’après cette thérapeutique sacrée dans leurs efforts pour la Pologne : pour chaque blessure mortelle faite à la malheureuse victime, elles n’avaient pas manqué d’appliquer un nouvel emplâtre… au gouvernement de la Russie. Sans contester la profonde vérité que cachait cette plaisante boutade, il est juste toutefois de remarquer que la France du moins ne s’est jamais aveuglée sur le