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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/109

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mérite de cette méthode curative, et qu’elle n’a cessé de rechercher des moyens de guérison beaucoup moins hiératiques et bien plus rationnels. Depuis la lettre autographe adressée dans les premiers jours du mois de mars à l’empereur Alexandre, le gouvernement français ne se faisait plus la moindre illusion sur la possibilité d’influencer la Russie, par des sollicitations ou remontrances, et s’il consentait à suivre lord John Russell dans son système de « pression morale, » c’était seulement dans le dessein de mener jusqu’au bout la demonstratio ad absurdum et de laisser la situation « mûrir, » selon le mot attribué au prince Richard de Metternich après son retour du voyage de Vienne. En effet, la pensée qui avait inspiré alors la mission de ce diplomate distingué subsistait toujours dans l’esprit du cabinet des Tuileries ; il continuait d’avoir en vue une action sérieuse pour la délivrance de la Pologne, et ne désespérait pas d’obtenir un jour à cet effet le concours indispensable de l’Autriche. Sans doute le gouvernement de Vienne était très lent dans ses décisions, très hésitant et fugitif dans ses paroles, et M. de Rechberg avait déclaré dès le début « se réserver le droit de changer d’attitude, s’il lui devenait plus tard avantageux de le faire[1] ; » mais, pour quiconque connaissait les traditions et à certains égards les nécessités de la diplomatie aulique, un pareil avertissement était presque superflu. Ainsi que le disait alors spirituellement un homme politique éminent, « l’Autriche se réservera toujours le droit à la défection, la Providence l’ayant douée d’une souplesse de cœur appropriée à sa situation géographique. » L’important, c’est qu’un pareil revirement ne se faisait encore nullement pressentir, que a l’avantage » pour le gouvernement autrichien semblait être du côté de la bonne cause, et que ses visées en Allemagne, sa rivalité croissante avec la Prusse, paraissaient élargir chaque jour la distance qui séparait le comte Rechberg du prince Gortchakov et de M. de Bismark. En somme, et jusqu’au milieu du mois d’octobre 1863, la cour de Vienne n’a cessé de garder dans les affaires de Pologne l’attitude qu’elle avait prise au début même de ces complications, attitude qu’on avait certes le droit de qualifier d’équivoque, mais qu’on avait aussi plus d’une raison de taxer seulement d’expectante, et dont il était permis d’attendre peu ou beaucoup, selon la faveur des circonstances et la tournure des événemens.

Ce qui pouvait à certains égards contribuer à entretenir dans le cabinet des Tuileries l’espoir d’une coopération éventuelle de l’Autriche, c’était d’abord et surtout la simple circonstance que les Polonais

  1. Dépêche de lord Bloomfield du 20 février 1863.