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l’Autriche par quelques marques de sympathie qui au fond n’engageaient à rien. Le prince Gortchakov du moins se garda bien de négliger une si bonne chance, et, malgré toute l’amitié que lui portait M. de Bismark, il s’empressa d’assurer M. de Thun que la Russie n’avait pas l’intention de créer des difficultés à l’empereur François-Joseph dans sa politique allemande, et qu’elle emploierait toute son influence auprès de la cour de Prusse pour l’amener à un compromis. Il n’est même pas jusqu’aux journaux russes qui n’eurent à ce moment l’esprit de faire taire leurs rancunes au sujet de la « connivence » en Galicie, et de déclarer effrontément que la Moscovie faisait des vœux sincères pour l’unité allemande !…

Déconcertée au premier abord par l’incident de Francfort, la diplomatie française fut sur le point d’oublier complètement la question qui l’avait préoccupée pendant tant de mois et de revenir subitement à la politique d’avant 1863. La dernière et si chaleureuse note de M. Drouyn de Lhuys pour la Pologne était encore sur la table du vice-chancelier russe et y attendait une réponse, qu’à Paris déjà on parlait, vers la fin du mois d’août, du rétablissement des anciens bons rapports avec les cours de Saint-Pétersbourg, et de Berlin, et qu’on se souvenait des sentimens d’amitié personnelle qui unissaient naguère deux empereurs. M. de Bismark saisit l’occasion avec empressement pour représenter l’attitude de l’Autriche comme un danger pour l’Europe et une menace à l’adresse de la France. Quant à la Pologne, M. de Goltz en parlait à M. Drouyn de Lhuys dans les termes qu’employait depuis longtemps son collègue à Londres, M. de Bernstorff, avec lord John Russell : la France n’aura nullement besoin de sacrifier ses sympathies traditionnelles, « le tsar étant fermement décidé à accorder aux Polonais tout ce qui a été demandé pour eux. » Le ministre du roi Guillaume Ier semblait, lui aussi, congédier sa pensée immuable, cette alliance du Nord qu’il n’avait cessé de poursuivre depuis la convention du 8 février, et pour le besoin du moment il fit sonner bien haut la reconstitution de l’entente franco-russo-prussienne !… Certes le cabinet des Tuileries ne s’était jamais avancé jusqu’à ce point, pas plus dans ses appréhensions que dans ses velléités : le tout s’était borné à « un échange d’idées et d’impressions, » et on revint même assez vite de part et d’autre aux positions respectives d’auparavant. La diversion n’en produisit pas moins un effet très fâcheux ; le langage tenu dans cette crise par certains organes officieux fut surtout remarqué à Vienne, et il ne pouvait plus y être oublié. Croyant refléter la pensée du gouvernement, et, comme tout miroir grossier, la reflétant avec des traits exagérés, monstrueux même, une presse obséquieuse se mit à démontrer que la France, après tout, avait le choix