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l’annexion de la Savoie l’empereur Alexandre avait prêté au gouvernement français l’appui le plus sincère et le plus cordial. « Ce bon accord exigeait des ménagemens, ajoutait l’empereur, et il m’a fallu croire la cause polonaise bien populaire en France pour ne pas hésiter à compromettre une des premières alliances du continent et à élever la voix en faveur d’une nation rebelle aux yeux de la Russie, mais aux nôtres héritière d’un droit inscrit dans l’histoire et dans les traités… Malheureusement ces conseils désintéressés ont été interprétés comme une intimidation, et les démarches de l’Angleterre, de l’Autriche et de la France, au lieu d’arrêter la lutte, n’ont fait que l’envenimer. Que reste-t-il donc à faire ? Sommes-nous réduits à la seule alternative de la guerre ou du silence ? Non. Sans courir aux armes, comme sans nous taire, un moyen nous reste, c’est de soumettre la cause polonaise à un tribunal européen. La Russie l’a déjà déclaré : des conférences où toutes les autres questions qui agitent l’Europe seraient débattues ne blesseraient en rien sa dignité. Prenons acte de cette déclaration. Qu’elle nous serve à éteindre, une fois pour toutes, les fermens de discorde prêts à éclater de tous côtés, et que du malaise même de l’Europe, travaillée par tant d’élémens de dissolution, naisse une ère nouvelle d’ordre et d’apaisement. » L’empereur demandait ensuite si le moment n’était pas venu de reconstruire sur de nouvelles bases l’édifice miné par le temps et détruit pièce à pièce par les révolutions. Les traités de 1815 ont cessé d’exister, disait-il, et il proposait un arbitrage suprême. Il demandait encore si la rivalité des grandes puissances empêcherait sans cesse les progrès de la civilisation, si l’on entretiendrait toujours de mutuelles défiances par des armemens exagérés, si l’on donnerait une importance factice à l’esprit subversif des partis extrêmes en s’opposant par d’étroits calculs aux légitimes aspirations des peuples.

Si généraux que fussent ces aperçus, si élevé que fût le point de vue d’où on les embrassait, peu d’esprits réfléchis et sensés se méprirent sur la portée positive et immédiate du discours impérial : il signifiait l’abandon de l’entente avec l’Angleterre et l’Autriche, la volonté de revenir à la politique d’avant 1863. L’Angleterre ne pouvait qu’être profondément irritée de cet arrêt de mort prononcé contre les traités de 1815, son œuvre de prédilection ; l’Autriche ne pouvait que tressaillir d’angoisse devant l’évocation de principes aussi nouveaux, aussi dangereux pour son existence, et l’étonnement dut naturellement redoubler chez tous ceux qui étaient au fait des propositions soumises encore tout récemment par la diplomatie française au cabinet de Vienne. Que s’était-il donc passé entre les derniers jours d’octobre et les premiers jours de novembre, et quel fut le mobile