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d’une démarche si imprévue, si solennelle ? Était-ce seulement la désolante conviction de l’inutilité du dernier effort tenté auprès de l’Autriche ? Était-ce le désir de s’affranchir d’une situation sans issue par un coup d’éclat, par une de ces paroles grandes et magiques qui consolent parfois la France de plus d’un mécompte ? Ou bien faut-il chercher le mot de l’énigme dans une interprétation qui s’était bientôt fortement accréditée à Berlin ? D’après ce que l’on racontait dans certains cercles de la capitale prussienne, la proposition d’un congrès européen aurait eu une origine aussi compliquée que curieuse. Un diplomate italien fort goûté à la cour de Saint-Pétersbourg, et dont on connaissait les rapports intimes avec le souverain d’un autre pays, le marquis Pepoli, puisqu’il faut l’appeler par son nom, aurait été abordé par le prince Gortchakov dans un entretien plein de franchise et d’épanchement vers le milieu du mois d’octobre. Le vice-chancelier russe lui aurait exprimé tous ses regrets du trouble intervenu dans les rapports, naguère encore si cordiaux, entre la France et la Russie ; mais il aurait insisté en même temps sur l’impossibilité où se trouvait l’empereur Alexandre de céder aux remontrances de l’étranger dans la question polonaise : la dignité, l’honneur de la nation russe lui défendaient de rien accorder à une intervention de cette nature. — Il en serait autrement, aurait ajouté le prince Gortchakov, si cette question pouvait être traitée dans un congrès européen, à côté des questions en suspens qui agitent le monde ; son honneur étant sauf, la Russie se montrerait alors magnanime, et son exemple ne resterait pas sans une influence salutaire sur la conduite de telle autre puissance dans tel autre débat où la cause des nationalités se trouverait engagée. La Russie n’avait-elle pas rendu un service signalé à la France et à l’Italie par la proposition d’un congrès en 1859 ? et n’était-ce pas maintenant le tour de la France d’ouvrir par une proposition analogue une issue honorable pour tous ? Le marquis Pepoli aurait saisi avec empressement la pensée qu’on venait de lui suggérer, et s’en serait fait le messager et le chaleureux interprète auprès de l’empereur des Français…

Quelque étrange que puisse paraître la version qu’on vient de rapporter, il faut avouer que les indices ne manquent pas pour l’appuyer. La coïncidence de l’arrivée du marquis Pepoli de Saint-Pétersbourg avec le discours prononcé le 5 novembre, et jusqu’à la part d’influence que ce diplomate aurait eue dans la résolution qui a dicté ce discours, furent signalées dès lors à Paris même. Si ensuite l’accueil, d’abord assez favorable en apparence, que rencontra la proposition du 5 novembre auprès de la Russie et de la Prusse peut s’expliquer par le désir naturel de faire pièce à l’Angleterre