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Messaline, elle n’est point belle et s’est attifée savamment d’une double rangée de papillotes recherchées. Elle a un vague sourire fade qui fait mal au cœur. C’est le siècle des grandes lorettes ; celle-ci avait la déraison, l’emportement, la sensibilité, la férocité de l’espèce. C’est elle qui, attendrie un jour par l’éloquence d’un accusé, se retire pour essuyer ses larmes, et auparavant recommande à son mari de ne pas le laisser échapper.

Vespasien, un homme fort, bien assis sur des facultés complètes, prêt à tout accident, avisé, digne d’être pape à la renaissance.

Voyez encore dans l’autre salle un buste de Trajan, impérialement grandiose et redoutable ; l’emphase et la fierté espagnole y éclatent. Il faudrait lire ici l’Histoire Auguste ; ces bustes sont plus parlans que les mauvais chroniqueurs qui nous restent. Chacun d’eux est l’abrégé d’un caractère, et grâce au talent du sculpteur qui efface les accidens, qui supprime les particularités indifférentes, on voit à l’instant ce caractère.

À partir des Antonins, l’art se gâte visiblement. Beaucoup de statues et de bustes sont comiques sans le vouloir, d’un comique déplaisant ou même odieux, comme si l’on avait copié la grimace d’une vieille femme étique, le tressaillement d’un homme usé, les expressions basses et douloureuses d’une machine nerveuse détraquée. La sculpture ressemble à la photo-sculpture ; elle approche de la caricature dans telle grande statue de femme au torse nu, la tête rechignée, coiffée de bouffantes postiches…

Pendant qu’on suit son rêve et que l’on converse intérieurement avec tous ces vivans de pierre, on entend autour de soi bruire et chanter l’eau qui sort par la gueule des lions, et à chaque tournant des galeries on aperçoit un morceau de paysage, tantôt un grand pan de mur noirâtre au-dessus duquel brille un oranger, tantôt un vaste escalier où pendent des herbes grimpantes, tantôt le pêle-mêle des toits, des tours, des terrasses, et l’énorme Colisée à l’horizon…

Je ne veux plus rien voir aujourd’hui ; pourtant est-ce qu’il est possible de ne pas entrer dans la galerie, sachant qu’elle renferme l’Enlèvement d’Europe de Véronèse ? Il y en a un autre à Venise ; mais celui-ci, tel que le voilà, met la joie au cœur. Les gravures n’en donnent pas l’idée ; il faut voir l’ample et florissante servante dans sa robe d’un glauque foncé qui se penche pour attacher le bracelet de sa maîtresse, la noble taille, le geste calme de la jeune fille qui tend le bras vers la couronne apportée par les Amours, la joie et la volupté délicieuse qui s’exhalent de ces yeux rians, de ces belles formes épanouies, de cet éclat et de cet accord des couleurs fondues. Europe est assise sur la plus magnifique étoffe de soie jaune et dorée, rayée de noir ; sa jupe, d’un pâle violet rosé, laisse