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seulement une Julie, fille de Titus. Le corps est encore beau, mais la tête porte les ridicules bouffantes modernes. Ce seul ornement suffit pour détruire l’effet de la sculpture et toute l’idée antique.

De là on suit un long corridor peuplé aussi de débris grecs et romains, et l’on arrive au musée Pio-Clementino, où les œuvres d’art sont séparées et groupées chacune autour de quelque pièce capitale, dans des chambres de moyenne grandeur. Je ne dis rien des objets simplement curieux, de ce tombeau des Scipions si précieux pour les antiquaires, si simple de forme, et dont la pierre semble de la cendre cuite. Les hommes ensevelis là appartiennent à la génération des grands Romains qui, par la conquête du Samnium et par l’organisation des colonies, ont établi la puissance de Rome sur l’Italie, et par suite sur le monde. Ils sont les fondateurs, ils sont les vainqueurs de Carthage, de la Macédoine, et du reste n’ont fait que continuer leur monument. Ce bloc de peperin est une des premières pierres de l’édifice dans lequel nous vivons encore aujourd’hui, et l’inscription semble la voix grave du mort qui s’y est couché il y a vingt et un siècles :

Cornélius Lucius Scipio le Barbu,
Né de son père Gnævus, homme sage et brave,
Dont la beauté fut égale à la vertu.
Il fut censeur, consul, édile dans votre cité,
Prit Taurasai, Cisanna dans le Samnium,
Soumit toute la Lucanie, et emmena des otages.

C’est ici que sont les chefs-d’œuvre, — d’abord le Torse, tant loué par Michel-Ange. En effet, par la vie, l’effort grandiose, la puissante attache des cuisses, la fierté du mouvement, le mélange de passion humaine et de noblesse idéale, il est conforme au style de Michel-Ange. — Un peu plus loin est le Méléagre, dont la copie est aux Tuileries. Ce n’est qu’un corps, mais un des plus beaux que j’aie jamais vus. La tête, presque carrée, taillée à pans solides, comme celle de Napoléon, n’a qu’un front médiocre, et l’expression semble d’un homme un peu obstiné ; en tout cas, rien n’y indique la grande capacité et la grande flexibilité d’esprit que nous ne manquons guère de donner à nos statues, et qui suggère tout de suite au spectateur l’idée d’offrir au pauvre grand homme si peu habillé un pantalon et un paletot. La beauté de celui-ci est dans le col puissant, dans le torse si bien continué par la cuisse ; c’est un chasseur et un guerrier, rien de plus : il l’est par les muscles du jarret aussi bien que par la tête. Ces gens-là avaient inventé pour l’espèce humaine le système des haras ; de là leur rang dans l’histoire. Les Spartiates, qui, dans les temps anciens de la Grèce, ont donné le branle aux autres cités, se prêtaient entre eux leurs