Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/196

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et païenne, oisive et spéculative ; le climat est demeuré le même, mais l’homme s’est transformé en se vêtant et en devenant chrétien.

On monte je ne sais combien d’étages, et au sommet on trouve le pavé des chambres supérieures, un marquetage de petits dés de marbre ; les genêts, les arbrisseaux s’y sont implantés et les disjoignent ; parfois au-dessous de la croûte de terre on voit reparaître un morceau intact, presque frais de la mosaïque. On comptait ici seize cents sièges de marbre poli. Dans les thermes de Dioclétien, il y avait place pour trois mille deux cents baigneurs. Quand de cette hauteur on jette les yeux autour de soi, on voit la plaine rayée à perte de vue par les vieux aqueducs, et du côté du mont Albano, trois autres vastes ruines, des amas d’arcades noircies ou rougeâtres, crevassées, déchiquetées, émiettées par les siècles et brique à brique.

On descend et l’on regarde encore : la salle de la piscine a cent vingt pas de long ; celle où l’on se déshabillait a quatre-vingts pieds de haut ; tout cela était revêtu de marbre, et ce marbre est si beau que de ses débris on fabrique des bijoux de cheminée ; on en a tiré au XVIe siècle l’Hercule Farnèse, le Torse, la Vénus Callipyge, et je ne sais combien de chefs-d’œuvre, au XVIIe des centaines de statues. Il est probable que nul peuple ne retrouvera les aises, les divertissemens et surtout les beautés que les Romains trouvaient à Rome. Il faut venir ici pour comprendre ce mot : une civilisation autre que la nôtre, autre et différente, mais dans son genre aussi complète et aussi fine. C’est un autre animal, mais également parfait, comme tel mastodonte avant l’éléphant moderne.

Dans un coin, à l’abri, fleurissait le plus charmant amandier, tout rose comme une jeune fille parée pour le bal, tout en fleur, riant et traversé par une pluie de rayons de soleil, tombé par hasard entre ces murs colossaux, dans le squelette vermoulu du monstre fossile.

La Peinture. Raphaël.

Parlons de ton Raphaël ; puisque tu aimes les impressions franches, je te donnerai l’ordre des miennes. Combien de fois n’avons-nous pas raisonné de lui ensemble devant les dessins originaux et les estampes ! Ses plus grandes œuvres sont ici. Quand du milieu des sensations l’idée commence à poindre, on prend la liste des endroits où il y a quelque peinture de lui. On va d’une fresque à un tableau, d’une galerie à une église ; on revient, on lit sa vie, celle de ses contemporains et de ses maîtres. C’est un travail ; il en faut bien un pour Pétrarque et Sophocle : toutes les grandes choses un peu lointaines correspondent à des sentimens que nous n’avons plus.