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Le premier aspect est singulier ; on vient d’entrer, dans la cour du Vatican, on a vu un entassement de bâtimens, et au-dessus de sa tête une allée de vitrages qui donnent à l’édifice l’apparence d’une grande serre. Muni de cette belle idée, on a monté une infinité d’escaliers ; sur le palier, un suisse doucereux et prudent a empoché vos deux pauls avec un sourire de reconnaissance. Vous êtes dans une vaste salle encombrée de peintures. Laquelle regarder ? Voici la Bataille de Constantin, dessinée par Raphaël et peinte par Jules Romain, avec de la brique pilée, je suppose ; probablement aussi il a plu dessus, et la couleur détrempée s’en est allée par places. Vous suivez un long portique vitré où doivent être les arabesques de Raphaël : elles n’y sont plus ; seulement à leurs traces vagues on devine qu’elles ont été là ; certainement des polissons avec leur couteau ont gratté assidûment sur la muraille. Vous vous renversez en arrière, et vous apercevez au plafond les cinquante-deux scènes bibliques qu’on appelle les loges de Raphaël ; il en reste cinq ou six entières ; pour les autres, on a emmanché un balai au bout d’une perche et on a frotté vigoureusement. D’ailleurs était-ce la peine de faire des chefs-d’œuvre pour les faire si petits, les placer si haut, les réduire à l’état de caissons sous une voûte ? Certainement ils ne sont qu’un accessoire dans la pensée de l’architecte, un bout de décoration dans un promenoir ; quand le pape, après son dîner, venait ici prendre le frais, il apercevait de loin en loin un groupe, un torse, si par hasard il levait la tête. — Vous revenez et vous faites une première tournée dans les quatre célèbres chambres de Raphaël : ce sont les appartemens de Jules II. Le pape y remplissait les offices de sa place. Dans l’une, il signait les brefs : le peintre ici est secondaire ; la salle n’était pas faite pour lui, il a travaillé pour la salle. Les jours sont médiocres, une moitié des fresques reste dans l’ombre. Le plafond est surchargé, les sujets s’y étouffent. Le coloris s’est terni ; des gerçures coupent par la moitié les corps et les têtes. L’humidité a marbré de teintes blafardes les visages, les vêtemens et les architectures ; les ciels n’ont plus d’éclat, la moisissure y met ses plaques de lèpre ; les déesses de la voûte s’écaillent. — Cependant les étrangers, un livret à la main, font leurs observations tout haut ; les copistes remuent leurs échelles. Figure-toi au milieu de tout cela le malheureux visiteur obligé de se tordre le cou pour manœuvrer sa lunette !

Assurément dix-neuf visiteurs sur vingt sont déçus dans leur attente et demeurent bouche béante en murmurant : « N’est-ce que cela ? » Il en est de ces fresques comme des textes mutilés de Sophocle ou d’Homère. Donnez le manuscrit du XIIIe siècle à un lecteur ordinaire, et supposez qu’il puisse le déchiffrer. S’il est de