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monstrueux, les convives apercevaient ces grands nus dans le bleu foncé de l’olympe, parmi les guirlandes voluptueuses, où des courges femelles et des radis mâles font penser à la large joie d’Aristophane. La courtisane Imperia pouvait y venir ; les hôtes, des parasites comme Tamisius, des artistes licencieux comme Jules Romain et l’Arétin, des seigneurs et des prélats nourris dans les dangers et dans la franche sensualité du siècle, devaient contempler avec sympathie cette peinture gaie, grande et forte, ces figures rudement faites, indiquées plutôt qu’achevées, ces tons de brique. Souvent un paquet de blanc avec une tache noire fait les yeux ; les trois Grâces nues dans le banquet sont musclées comme des lutteurs ; plusieurs dieux, Hercule, Pan, Pluton, le Fleuve, ne sont que de robustes forgerons tracés à grands traits et par grosses plaques de couleur comme pour une tapisserie ; les Amours qui rapportent Psyché ont la solide chair empâtée d’enfans surnourris. Il y a dans toute la peinture une exubérance de vigueur et je dirai presque de lourde sève païenne ; à Rome, le type est plutôt fort qu’élégant ; les femmes, ne remuant guère, deviennent pesantes et grasses ; on trouve les traces de cette impression dans beaucoup de femmes de Raphaël, dans ses Grâces charnues, dans son Eve massive, dans la largeur du torse de sa Vénus. Le paganisme vers lequel il inclinait n’était point attique, et ses élèves qui ont exécuté les peintures de cette salle ont outré ou négligé à demi ses indications, comme un graveur qui reproduit un tableau en oubliant les délicatesses. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à mettre en regard dans la fresque et dans le dessin original Vénus recevant le vase. La figure dessinée est une vierge des temps primitifs, d’une innocence et d’une douceur inexprimables, et sa tête d’enfant qui n’a pas encore pensé, posée sur un tronc herculéen, produit une émotion telle que l’esprit se reporte involontairement jusqu’à l’origine de la famille humaine, dans ces temps où la fille s’appelait la laitière, où des races athlétiques et naïves, avec l’épée courte et des dogues qui terrassaient les lions, descendaient de leurs montagnes pour coloniser l’univers. Même à travers la traduction des élèves, la figure peinte ici, comme dans toute la fresque, est encore unique ; il y a là un type nouveau, non pas copié sur le grec, mais sorti tout entier du cerveau du peintre et de l’observation du modèle nu, d’une énergie et d’une plénitude étranges, où le muscle est accusé non par imitation obligée de la nature, mais parce qu’il est vivant, et que par sympathie l’artiste jouit de sa tension. Psyché lancée à travers l’air et soutenue par des amours, Vénus suppliant Jupiter, sont d’une fraîcheur et d’une jeunesse charmantes. Et que dire des deux bouquetières aux ailes de papillon, de l’aimable Grâce dansante qui dans le banquet arrive effleurant le sol ? Tout cela rit et cueille à pleines mains