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à produire des tragédies classiques qui fussent en même temps des drames romantiques. Comme l’auteur des Enfans d’Edouard et de Louis XI cherchant à marier ensemble Racine et Victor Hugo, le chantre de Mireille n’eût pas demandé mieux que de concilier Richard Wagner avec Mozart. Le malheur veut que le moindre tort de ces transactions plus ou moins industrieusement exécutées soit de mécontenter tout le monde. Je doute que les fidèles du Tannhäuser et du Lohengrin tiennent grand compte de ses efforts à ce converti, encore si capable de sacrifier aux faux dieux, et il me semble que, si j’étais de la paroisse, toute cette mélopée mise là délibérément ne me ferait point pardonner à l’auteur le parasitisme spécifique de la chanson de Magali, des couplets de la sorcière, et surtout de cette sorte de valse ajoutée au premier acte pour mettre en lumière une fois de plus l’incomparable virtuosité de la cantatrice. Quant au public, qui n’a point pour habitude, on le sait, de beaucoup approfondir les choses, ni de se demander s’il se divertit ou s’ennuie selon les règles, les théories et les transactions ne le touchent guère ; je dis plus : il n’en veut rien savoir, ce n’est pour lui qu’un détail concernant les gens qui se mêlent de discourir sur la matière. Le public entend qu’on l’intéresse, qu’on l’émeuve ; il lui faut trouver dans un opéra des situations musicales, musicalement développées, des duos qui soient des duos, des finales qui soient des finales, et lorsqu’au lieu de cela vous lui donnez une interminable mélopée agrémentée de loin en loin de quelques jolis incidens, il ne s’enquiert point de quelle combinaison ingénieuse sort l’ouvrage qu’on lui représente ; cet ouvrage l’ennuie, il est jugé. Vous reviendriez cent fois à la charge que vous ne le feriez pas renoncer à son impression.

L’ennui au théâtre tue tout, même les chefs-d’œuvre. Sous le coup de cette main de plomb, l’Euryanthe de Weber est tombée sans pouvoir jamais se relever autre part que dans les salles de concert. Là seulement l’admiration universelle des connaisseurs et de la foule est venue venger de ses défaites une partition qui dans ses diverses rencontres tant à l’Opéra qu’au Théâtre-Lyrique n’eut que des échecs à la scène. Mireille eut dès le premier soir le même sort. Mettons que le Faust de M. Gounod fût son Freyschütz, Mireille serait son Euryanthe. C’est affaire à lui maintenant de tâcher que le Conservatoire s’en arrange et de transformer sa bucolique en symphonie, car je crains bien qu’au théâtre la partie ne soit définitivement perdue. « Vous sentez-vous corrompus ? » disait jadis M. Guizot à ses électeurs de Lisieux. Les gens venus à cette reprise pouvaient à leur tour se demander les uns aux autres : « Sentez-vous que nous nous fussions trompés ? »

En appeler du public au public est une épreuve qui très rarement réussit. De deux choses l’une, ou vous avez l’air de dire au monde : Ceci est fort beau, et vous avez eu le plus grand tort une première fois de n’y pas prendre garde, ou bien, n’acceptant que jusqu’à un certain point les faits