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On les comprend encore, la tradition s’est conservée ; un nouvel esprit, une culture oratoire et philosophique n’a pas effacé comme en France toutes les mœurs et toutes les idées du XVIe siècle ; on y assassine toujours ; le soir, les rues ne sont point sûres. Tandis qu’en France règnent les peintres de boudoir, Mengs ici imite la renaissance et Winckelmann retrouve l’antique. On goûte leurs œuvres et celles des grands maîtres ; les longues attentes d’antichambres, le vide des conversations prudentes, le danger de la gaîté abandonnée, la défiance réciproque, ont augmenté la sensibilité en l’empêchant de s’épancher. Il y a place encore dans l’homme pour les impressions fortes.

Comme ces habitudes et ces sentimens sont loin des nôtres ! Comme la culture raffinée, le partage des fortunes et la police bien entendue ont travaillé parmi nous pour ne laisser d’homme régnant que le bohème, l’ambitieux qui a des nerfs, l’homme de Musset et de Heine !

J’ai poussé à pied deux milles plus loin ; il y a quantité de grandes villas garnies de ruines ridicules qu’on a fabriquées exprès, plusieurs modernisées ; les styles opposés s’y mêlent, ce n’est pas la peine d’y entrer. D’autres maisons plus bourgeoises laissent entrevoir des massifs de palmiers, de cactus, de joncs blancs panachés parmi des fontaines coulantes ; rien de plus original et de plus gracieux. Les auberges les plus pauvres ont dans leur cour quelque grand arbre largement ouvert, une grosse treille qui fait un toit de verdure. On y boit du mauvais vin sucré et jaune ; mais en face s’étendent des paysages à teintes douces bornés par la longue montagne bleuâtre, des verdures naissantes, des têtes blanches d’amandiers, le dessin élégant des arbres bruns ou grisâtres, et le ciel est tout moite de nuées légères.

Villa Borghèse.

Je n’ai pas grand’chose à te dire sur les autres villas ; elles suggèrent des idées semblables ; la même vie produisait les mêmes goûts. Quelques-unes sont plus grandes, plus campagnardes, dessinées plus librement, entre autres la villa Borghèse. On y va par la place du Peuple ; cette place avec ses églises, ses obélisques et ses fontaines, avec l’escalier monumental du Pincio, est singulière et belle. Je compare toujours mentalement ces monumens à ceux de Paris, auxquels je suis accoutumé : on y trouve moins de grandeur matérielle, moins d’espace, moins de moellons que dans la place de la Concorde et l’Arc de Triomphe ; mais cela est plus inventé et plus intéressant…

Cette villa Borghèse est un vaste parc de quatre milles de tour,