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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/290

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« Les maisons, dit le président De Brosses, sont couvertes de bas-reliefs antiques de fond en comble, mais il n’y a pas de chambres à coucher. » L’Italien ne met pas son luxe, comme les Français, dans les réceptions et la goinfrerie ; à ses yeux, une belle colonne cannelée vaut mieux que cinquante repas. « Sa manière de paraître, après avoir amassé par une vie frugale un grand argent comptant, est de le dépenser à la construction de quelque grand édifice public… qui fasse passer à la postérité d’une façon durable son nom, sa magnificence et son goût. »

Les traces de cette étrange vie sont visibles à chaque pas dans les cent ou cent cinquante palais qui peuplent Rome. Vous voyez des cours immenses, des murailles hautes comme celles d’une prison, des façades monumentales. Personne dans la cour ; c’est un désert ; parfois à l’entrée une douzaine de fainéans, assis sur les pavés, font semblant d’arracher l’herbe ; on dirait que le palais est abandonné. Quelquefois il l’est tout à fait, le maître ruiné loge au quatrième étage, et tâche de louer quelque portion du reste ; les bâtimens sont trop grands, trop disproportionnés à la vie moderne, on n’en pourrait faire que des musées ou des ministères. Vous sonnez, et vous voyez arriver lentement un suisse, quelque laquais au visage terne ; tous ces gens-là ont l’air des oiseaux mélancoliques d’un jardin des plantes, empanachés, dorés, chamarrés, bariolés et tristes, mais posés sur un perchoir convenable. Souvent personne ne vient, quoiqu’on ait choisi le jour et l’heure indiqués : c’est que le custode fait une commission pour la princesse ; là-dessus le visiteur jure contre le maudit pays où chacun vit des étrangers et où personne n’est exact. Vous montez une quantité d’escaliers d’une largeur et d’une hauteur étonnantes, et vous voilà dans une enfilade de pièces encore plus larges et plus hautes ; vous avancez, cela ne finit pas ; vous marchez cinq minutes avant d’arriver à la salle à manger ; on logerait là quatre régimens d’infanterie, sapeurs et musique ; l’ambassade d’Autriche est perdue dans le palais de Venise comme une nichée de rats dans un vieux moulin. — Je suppose que vous fassiez visite : la famille a beau habiter le palais, il semble qu’il soit vide. On distingue quelques rares domestiques dans l’antichambre ; au-delà commence la solitude, cinq ou six salons énormes, pleins de meubles fanés, la plupart dans le style de l’empire. Vous jetez les yeux en passant par une fenêtre, vous apercevez de grands murs mornes, des pavés rongés de mousses, des corniches de toit mutilées ou lépreuses. Enfin reparaissent les figures humaines, un ou deux huissiers ; on est annoncé, et l’on voit devant soi un homme fort simple, en redingote, dans un fauteuil moderne, dans une chambre plus petite que les autres, arrangée à peu près