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comme il faut pour être commode et tenir chaud. S’il y a au monde une habitation triste et qui soit en désaccord avec les mœurs modernes, c’est la sienne ; regardez en manière de contraste, au sortir de là, un hôtel rafraîchi, comme on en trouve quelques-uns dans la petite noblesse, une maison d’artiste, comme il y en a aux environs de la place d’Espagne, avec ses tapis, ses jardinières de fleurs, ses élégances multipliées et toutes neuves, les charmantes et innombrables inventions de son bien-être, ses dimensions médiocres et commodes, tout ce qu’elle enferme de coquet, de brillant, de comfortable et d’agréable. Au contraire, il faudrait dans le palais soixante laquais chamarrés et quatre-vingts gentilshommes à gages : ce sont les meubles naturels de pareilles salles ; les cours redemandent les cent chevaux et les vingt carrosses des anciens maîtres ; les vaisselles, les tapisseries, les millions d’argent comptant devraient venir ici, comme sous les papes de l’avant-dernier siècle, pour redorer ou renouveler l’ameublement. Les tableaux eux-mêmes, tous ces grands corps en mouvement, tant de superbes nudités pendues aux murailles, ne sont plus que des monumens d’une vie éteinte, trop voluptueuse et trop corporelle pour le temps présent. L’aristocratie romaine ressemble à un lézard niché dans la carapace d’un crocodile antédiluvien, son grand-père ; le crocodile était beau, mais il est mort.


Palais Farnèse.

De tous ces fossiles, le plus grand, le plus imposant, le plus noble, le plus sévèrement magnifique est, à mon gré, le palais Farnèse. Il est dans un vilain quartier ; on passe pour y arriver aux environs du palais Cenci, si délabré et si morne, à travers le Ghetto des Juifs, vrai cloaque de parias où des ruelles tortues s’enchevêtrent parmi des ruisseaux fétides, parmi des maisons dont la façade ventrue, disloquée, semble une hernie d’hydropique, parmi de noires cours suintantes, parmi des escaliers de pierre dont le boyau s’entortille autour d’un mur encrassé par la saleté séculaire. Des figures laides, courtes, blafardes, y fourmillent comme des champignons poussés sur des décombres. Cent pas plus loin, seul au milieu d’une place noirâtre, se dresse l’énorme palais, massif et haut comme une forteresse, capable de recevoir et de rendre la fusillade. Il est de la grande époque ; ses architectes, San-Gallo, Michel-Ange, Vignoles, surtout le premier, y ont imprimé le véritable caractère de la renaissance, celui de la vigueur virile. Véritablement il est parent des torses de Michel-Ange, et l’on y sent l’inspiration du grand âge païen, âge de passions tragiques et d’énergie intacte que la domination étrangère et la restauration catholique