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apporter un bref déplaisant. On sait comment le pape Jules II, dans une querelle avec Michel-Ange, tombait à coups de canne sur un évêque qui essaya de s’interposer. Une fois Cellini est reçu en audience par le pape Paul II. « Il était, dit Cellini, de la meilleure humeur du monde, d’autant plus que cela se passait le jour où il avait coutume de faire une solide débauche, après laquelle il vomissait. » Impossible de raconter avec le maître de cérémonies Burchard les fêtes données au Vatican devant Alexandre VI, César Borgia et la duchesse Lucrèce, ni même tel petit amusement improvisé que ces trois personnages regardaient de la fenêtre « avec de grands rires et une grande satisfaction ; » des vivandières en rougiraient. On ne s’est point encore poli ; la crudité n’effarouche, personne ; les poètes comme Berni, les conteurs comme l’évêque Bandello expliquent avec détails précis les événemens les plus risqués. Ce que nous appelons le bon goût est l’œuvre des salons, et ne naîtra que sous Louis XIV. Ce que nous appelons la décence ecclésiastique est un contre-coup de la réforme et ne s’établira qu’au temps de saint Charles Borromée. Les instincts corporels étalent encore toute leur nudité à la lumière, et ni le raffinement du monde, ni les convenances de l’habit ne sont venus tempérer ou déguiser la fougue intacte des sens déchaînés, « Parfois, dit Cellini, il advint qu’en pénétrant à l’improviste dans les pièces secrètes je surpris la duchesse » dans une occupation qui n’avait rien de royal… « Alors elle se mettait contre moi en de telles rages que j’en étais épouvanté. » Un jour, à la table du duc, il se prend de querelle avec le sculpteur Bandinelli, qui lui jette au nez la plus grossière injure. Par miracle il se retient, mais un instant après il lui dit : « Je te déclare expressément que si tu n’envoies pas le marbre chez moi, tu peux chercher un autre monde, car, coûte que coûte, je te crèverai le ventre dans celui-ci. » Les gros mots trottent comme dans Rabelais, et des saletés de cabaret, de dégoûtantes plaisanteries d’ivrogne viennent éclater jusque dans un palais. « Ah ! pourceau, m’écriai-je, manant, bourrique, c’est donc le seul bruit que l’on talent puisse faire ! En même temps je sautai sur un bâton. » Cellini affiche quatre vers sur cette aventure, et le duc et la duchesse se mettent à rire. Aujourd’hui des valets de bonne maison mettraient de pareils plaisans à la porte ; mais, lorsqu’on se sert de ses poings comme un charretier et de son épée comme un soudard, il est naturel qu’on ait des gaîtés de charretier et de soudard[1].

Il est naturel aussi que leurs plaisirs soient d’une espèce particulière.

  1. Cellini conte de la façon que voici ses démêlés avec une de ses maîtresses : « Je la saisis par les cheveux et je la traînai dans la chambre en la rouant de coups de pied et de poing jusqu’à ce que la fatigue m’obligeât à m’arrêter. »