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Ce que préfère un homme du peuple, j’entends un homme habitué aux exercices corporels et dont les sens sont rudes, ce sont les spectacles qui parlent aux yeux, surtout ceux dans lesquels il est acteur ; il a le goût des parades, et volontiers il s’y adjoint. Il laisse aux gens de salon, aux raffinés, aux efféminés, les curiosités de l’observation, de la conversation et de l’analyse. Il aime à voir des lutteurs, des bouffons, des saltimbanques qui font des grimaces, des féeries, des processions, des entrées de troupes, des défilés de cavalcades, d’uniformes éclatans, bariolés, extraordinaires. Aujourd’hui que le peuple à Paris va au théâtre, c’est par ces moyens que les théâtres populaires attirent les spectateurs. En cet état d’esprit, un homme est pris par les yeux. Ce qu’il souhaite regarder, ce n’est pas une intelligence pure, mais un corps vigoureux, bien habillé, bien assis sur une selle, et quand au lieu d’un il y en a cent, quand les broderies, les dorures, les panaches, la soie et le brocart des robes brillent en plein soleil parmi les fanfares, quand le triomphe et le tumulte de la fête entrent par toutes les voies dans tous ses sens, la sympathie involontaire ébranle tout son être, et s’il lui reste une envie, c’est de monter lui-même à cheval pour s’étaler avec un habit pareil au milieu du cortège et devant les assistans. Tel est à cette époque le goût qui règne en Italie : on n’y rencontre que cavalcades princières, fêtes pompeuses et publiques, entrées de villes et mascarades. Galeazzo Sforza, duc de Milan, venant visiter Laurent de Médicis, amène avec lui, outre une garde de cinq cents fantassins, cent hommes d’armes, cinquante laquais à pied vêtus de soie et d’argent, deux mille gentilshommes et domestiques de sa suite, cinq cents couples de chiens, un nombre infini de faucons, et son voyage lui coûte deux cent mille ducats d’or. De son côté, la ville lui donne trois spectacles publics, l’un qui est « l’annonciation de la Vierge, » l’autre qui est « l’ascension du Christ, » le dernier qui est « la descente du Saint-Esprit, » — Le cardinal de San-Sisto dépense vingt mille ducats pour une seule fête en l’honneur de la duchesse de Ferrare, et fait ensuite la tournée de l’Italie avec un cortège si nombreux et si magnifique que toute la pompe du pape son frère ne faisait que l’égaler. — La duchesse Lucrèce Borgia entre à Rome avec deux cents dames, toutes magnifiquement habillées, toutes à cheval, chacune accompagnée d’un cavalier. — On prépare à Florence une grande fête mythologique, le triomphe de Camille, avec quantité de chars, d’étendards, d’écussons, d’arcs de triomphe ; Laurent de Médicis, afin d’embellir le spectacle, demande au pape un éléphant ; le pape envoie seulement deux léopards et une panthère ; il voudrait bien venir, mais sa dignité le retient ; une quantité de cardinaux, plus heureux, arrivent pour